>

Tout d'abord, un petit mot sur l'Inde du Nord. Ça va être rapide car pour entrer dans les détails il faudrait des heures. Ce pays est un véritable choc culturel. Je sais, vous l'avez entendu dire 10 000 fois :

« On ne revient pas d'un voyage en Inde comme on est parti. »

Comme vous, je l'ai entendu et j'avoue que je me disais : bon OK, c’est vrai que ça a l'air spécial comme pays, mais bon j'ai déjà pas mal roulé ma bosse et ça va être dur de m'étonner... Et puis tous ces touristes blancs sont décidément trop impressionnables.

Ben, en fait, j'étais bien présomptueux !

Dans ce pays tout est PLUS !


Plus pauvre, plus sale, plus dépaysant, plus merveilleux, plus chaleureux, plus choquant...

Bref, écoutez ce qu'on vous dit sur l'inde : c'est vrai !

Je conseille d'ailleurs d'être peu préparé avant de faire un voyage dans la partie la plus peuplée du pays (Uttar Pradesh, les grandes villes comme Delhi, Calcutta, Bombay) car ça risque d'être une sacrée claque une fois sur place... (je peux donner des détails à ceux qui en veulent).

Je vais donc me borner à vous faire part de mon périple de 2 000 km dans le Rajasthan au départ de Delhi.

Le parcours est le suivant :

départ de Delhi direction Jaipur ;
• 1re étape à Jaipur la ville rose ;
2e étape à Pushkar le paradis du hippie ;
3e étape à Jodhpur la ville bleue ;
4e étape à Bikaner au cœur du désert du Thar ;
5e étape à Jhunjhunnun dans le pays des havelis (maisons des riches commerçants du XIXe siècle décorées de façon spectaculaire) ;
retour sur Delhi.

2 000 km environ et, je dois dire, 2 000 km de folies routières où les moments de répit auront été peu nombreux.

Tout d'abord, une petite description de la moto.

Evidemment, je ne voulais pas louer autre chose qu'une mythique Royal Enfield !

L'Inde fabrique tous ses produits industriels et cette règle est valable pour les motos. On trouve donc sur le marché local deux types de motos :
 
 • des petites cylindrées de 50 à 180 cm3 quatre temps, équipées de moteurs japonais installés dans des parties cycles typiquement indiennes (pas d'équivalent ici) ;
 • pour ce qui est du haut de gamme : les fameuses Royal Enfiel Bullet 350 et 500 (c'est la même partie cycle). Elles sont déclinées en quatre modèles différents selon les options mais moteur, boîte et cadre sont identiques.

J'oubliais tout de même un rare modèle diesel qui se cantonne à des utilisations purement utilitaires !

Les motos deux temps ont été écartées du marché il y a quelques années car trop polluantes (il faut dire que le niveau de pollution à Delhi est, comme je disais plus haut, carrément... PLUS).


Donc les Yezdi 250-350 copies de Jawa des années 1970 et les Rajdoot 250 copies des DKW d'après-guerre se font rares dans les rues (on en voit encore pas mal dans les campagnes).

Mon choix c'est porté sur une Bullet 350 Electra, c'est le modèle le plus répandu et le plus facile à faire réparer en cas de panne, la 500 étant une création assez « récente », elle est bien moins répandue).


Electra signifie que l'allumage est confié à une centrale électronique, ce qui dispense l'utilisateur de la fastidieuse opération qui consiste a trouver le point de compression à l'aide du voltmètre et du décompresseur. Un passage obligé sur les modèles à rupteurs...


Rappelons que la Enfield 350 est une moto de conception anglaise datant des années 1950 et qu'elle est pratiquement inchangée depuis sa première sortie d'usine.

Elle est donc équipée d'un monocylindre culbuté de 350 cm3 (très) longue course.

Il faut dire que ce moteur est le (seul) point fort de la moto. Souple, endurant supportant des heures de circulation dans des embouteillages monstrueux sans chauffe, il est capable de redémarrer en troisième sans trop rechigner.


Sa sonorité est bien sûr envoûtante et il a un excellent couple qui a permis à la moto, même très lourdement chargée, de tenir les 80 km/h en presque toutes circonstances.

Sa vitesse de pointe se situe aux alentours de 110 km/h mais le niveau de vibration à cette vitesse rend la moto pratiquement inconduisable !

Sa consommation d'huile est assez abyssale, elle s'est stabilisée à environ 0,75 l/1000. Cette consommation comprend bien évidemment les suintements que l'on peut observer sur l'ensemble du moteur (c'est une anglaise).

Pour ce qui est de la consommation d'essence, elle oscillait entre 3 et 4 l…

Vraiment un extraordinaire moteur !

Il entraîne une boîte à quatre vitesses, qui, si le moteur est le point fort de la moto, elle, est son point le plus faible.


C'est la plus mauvaise boîte que j'ai jamais essayée : bien pire que celle d'une Jawa et la boîte bien fatiguée de ma BSA pourrait passer pour parfaite en comparaison. Le passage des vitesses a parfois nécessité des coups de pied que je n'aurais pas oser donner à une porte. Et la recherche du point mort m'a parfois pris plusieurs minutes.

C'est simple, elle est si mauvaise que les ingénieurs ont greffé un second levier qui peut se manier à la main pour « débloquer » les situations les plus difficiles : bref une horreur !

De quoi dégoûter n'importe qui ! D'ailleurs, comme le disait un Indien chevauchant une Hero Honda flambant neuve en me voyant batailler pour la énième fois avec la boîte : « Enfield always have gears problems ! »

Heureusement, la souplesse du moteur évite les changements de vitesse trop fréquents.

Je rappelle que le levier de vitesse est à droite et que les vitesses sont bien sûr inversées (première en haut les autres en bas...).

En ce qui concerne le freinage, la moto est équipée de freins à tambour à l'avant et à l'arrière.

L'avant (un double came tout de même !) est aussi beau qu'inefficace ! On peut écraser le levier de frein sans que la moto s'arrête... Heureusement, le tambour arrière lui est performant.

Bref c'est là encore une conception à l'ancienne bien différente de nos habitudes modernes...

Il faut s’y faire...

Pour ce qui est de la partie cycle, si les suspensions sont fermes, elles sont assez confortables et même sur la piste elles n'ont jamais talonné… La direction, une fois la moto chargée, était aussi franche qu'un serpent à sonnette ! Chaque démarrage était accompagné d'un petit guidonnage qui finissait par se stabiliser en prenant de la vitesse : là encore, il faut s’y faire ...

Pour ce qui est de la fiabilité, voici la liste des pannes survenus en 2 000 km :
après 2 km le feu arrière claque ;
• après 200 km, le feu stop claque ;
• après 300 km, un joint spy de fourche se met à fuir de sorte que l'huile coule le long du fourreau de fourche (heureusement qu'il n'y a pas de frein à disque) ;
• après 500 km, la centrale de clignotant s'enflamme suite à une utilisation continue de 2 minutes en ville ;
• après 600 km, le deuxième joint spy de fourche se met à fuir ;
• après 1 200 km, le compteur lâche.

Je précise qu'aucun voyant (point mort, clignotants...) ne fonctionnait à la remise de la moto !

Bref, après 2 000 km, la moto était parfaitement aux normes indiennes !

Il faut tout de même souligner que le moteur, lui, a toujours tourné impeccablement même dans les pires conditions !

Ces incidents n'ont bien sûr pas étonné le loueur qui a même trouvé que la moto revenait en très bon état.

Dernière précision, la location de la moto pour 12 jours est revenue a 100 euros. L'assurance était comprise, mais, comme l'a expliqué le loueur : « En Inde, l'assurance ne sert à rien, si ce n'est à éviter des amendes de la police. »

Qui de toute façon n'arrête jamais les touristes !

Bon, j'espère que vous n’êtes pas lassés de me lire car raconter maintenant les 2 000 km de péripéties diverses sur les routes indiennes risque d'être long (mais vous êtes pas obligés de continuer après tout !).

Après la rapide présentation de la moto, voici donc que je prends possession de ma superbe Enfield dans le quartier de Karol Bag à Delhi. C'est dans ce quartier que se concentrent les vendeurs, loueurs et réparateurs motos. Il faut essayer de s'imaginer un quartier de grande ville où seraient rassemblées des dizaines de boutiques vendant toutes le même produit : en l'occurrence ici des motos.

La Bullet a été spécialement équipée pour le touriste que je suis. C'est-à-dire qu'il a été ajouté les accessoires ci-après.

Rétroviseurs. Ici personne ne les utilise et, lorsqu’ils sont présents sur la moto, ils sont joliment repliés vers l'intérieur pour éviter de dépasser afin de ne pas être cassés lorsque le pilote slalome dans la circulation. Ou encore, ils prennent des positions artistiquement tarabiscotées afin de valoriser l'esthétique de la moto. En aucun cas, ils ne servent à leur usage premier !

Clignotants. L'autochtone évidement n'utilise pas cet accessoire ridicule. Outre que les changements de direction se font toutes les 30 secondes, il est visiblement préféré ici de tendre le bras dans les cas les plus extrêmes. Ce geste est d'ailleurs pratiqué par tous les véhicules, du vélo au 38 tonnes.

Feu arrière. Egalement une option ici. D'ailleurs, la plupart du temps, le pilote indien enlève soigneusement l'ampoule arrière par mesure d'économie !
 
Pare-cylindre. Cet accessoire est très prisé et très utile ici. Les pare-cylindre indiens sont de taille impressionnante, si bien que les pare-buffle des 4x4 occidentaux paraissent ridicules. Ils prennent souvent des formes complexes, du plus bel effet esthétique.

Rack à bagages intégrant un spectaculaire porte-bagages et un sissy bar. Cet accessoire est spécifiquement destiné aux touristes occidentaux qui osent s'aventurer sur les routes indiennes. C'est d'ailleurs un moyen de reconnaître immédiatement un véhicule conduit par un touriste ! Sa taille permet un chargement impressionnant et sa forme est particulièrement adaptée au transport de sac a dos. Il est par ailleurs très bien conçu, bien qu'un peu encombrant, puisqu'il dépasse de 5 cm au moins la partie la plus large de la moto !

Me voici donc, après une laborieuse remise des papiers, prêt à affronter la route.

Le départ est prévu très tôt le matin afin d'éviter la circulation délirante de la journée. Par sécurité, un rickshaw (tricycle à moteur servant de taxi) payé pour la circonstance ouvre la route et surtout me guide dans le labyrinthe qu'est la ville de Delhi (12 millions d'habitants tout de même...). A 7 h du matin, la circulation est assez fluide, pour le standard du pays, et me voilà assez vite arrivé sur l'autoroute Delhi-Jaipur.

Il est constitué d'une route 2 x 2 voies... et c'est à peu près la seule similitude avec une autoroute occidentale !

C'est maintenant que je vais comprendre ce qu'est l'essence de la conduite indienne.

En fait c'est assez simple : il n'existe aucune règle !

C'est à peine si le sens de circulation (à gauche bien sûr : nous sommes dans le Commonwealth) est respecté.

Tout ce qui marche, roule ou rampe se retrouve sur cette autoroute et sur toutes les routes du pays d'ailleurs.

On rencontre donc vaches, éléphants, tracteurs, piétons, cyclistes, voitures et bien sûr les fameux camions Tata, maîtres incontestés de la route...

Tout ce monde se croise, s'arrête, double, fait demi-tour dans la plus grande anarchie.

Ici, un tracteur traînant une remorque chargée comme je ne l'avais jamais vu remonte la route à contresens. Là, un camion est arrêté sur la voie de gauche pendant que son conducteur défèque sur la voie de secours. Plus loin, un homme pousse sa carriole de vente de glace en plein milieu de la chaussée.

Bref, la route c'est la cour des miracles... en pire !

Très rapidement, les règles de survie s'imposent au pilote.

La hiérarchie des véhicules est la suivante, plus on est gros, plus on a de droits ! Ce qui donne dans l'ordre décroissant de priorité : camion ou car si le car est plus gros que le camion, voiture, moto, mob, cycliste, piéton.

Bien sûr, hors catégorie, nous avons la vache sacrée. Littéralement intouchable, elle est présente absolument partout. Bloquant parfois la circulation sans que personne n'intervienne, broutant l'herbe entre les voies d'autoroute, couchée tranquillement à l'ombre des péages (eh oui ! en plus c'est payant ! Enfin, pas pour les deux-roues qui sont ici le véhicule du pauvre par excellence : belle inversion de nos valeurs occidentales encore une fois !). Elle est hors concours. On la trouve même dans les gares ou sur les voies de chemin de fer... On dit qu'en cas d'accident entraînant le décès d'une vache sacrée il est préférable de se mettre immédiatement sous la protection de la police car les risques de lynchage sont grands (et je veux bien le croire !).

Les feux stop des véhicules sont débranchés par économie ou en panne sur presque tous les véhicules, camions compris.

Le klaxon est de mise pour prévenir de la moindre manœuvre. Il est indispensable dans les cas suivants : on va doubler, on va traverser un village sans ralentir (valable pour les camions et les cars), on salue un touriste parce que c'est pas si fréquent d'en voir (encore moins à moto !), on veut juste exprimer sa joie de rouler sur une si belle route ! La nuit, l'appel de phares remplace le klaxon.

Le clignotant est avantageusement remplacé par le bras en cas de manœuvre extrême risquant vraiment de mettre la vie d'autrui en danger (demi-tour sur l'autoroute, manœuvre effectuée sans visibilité...). Quand on voit un bras tendu, je vous jure que la tension monte !


A noter que les camions sont toujours occupés par deux personnes : le conducteur et son aide qui entre autres sert à tendre le bras sur le côté gauche du véhicule (ça coûte moins cher qu'un clignotant au prix de la main- d'œuvre locale).

La signalisation est bien sûr incitative. Et dans le cas où elle doit être impérativement respectée un policier ou un militaire est mis en faction.

Toutes les manœuvres, même les plus inattendues, sont possibles !

Il faut préciser ici quelque chose de primordial : tout ceci est effectué dans la bonne humeur, sans aucune agressivité.

Les quelques fois où je perdrai patience ou sang-froid et me laisserai aller aux insultes ou à l'énervement,
je serai observé avec étonnement, incrédulité et, finalement, on me fera un beau sourire même si la minute d'avant ma vie était en jeu.

A plusieurs reprises, je serai obligé de me précipiter sur le bas-côté pour éviter un camion doublant un car : les deux véhicules formant un véritable mur sur toute la largeur de la chaussée. Ce genre d'incident m'est arrivé trois fois pendant mon périple.

Bref, je peux vous dire que la concentration nécessaire à la circulation sur les routes indiennes pour un Occidental est très importante, et elle est particulièrement épuisante...

Ce qui sauve tout le monde, c'est qu'ici on roule entre 50 et 80 km/h. Les véhicules les plus rapides atteignent 100-110 km/h...


De toute façon, la densité de population et de véhicules en circulation ne permet pas d'atteindre ces vitesses bien longtemps...


La vitesse moyenne pour un déplacement est de 30 km/h environ. Les étapes de plus de 300 km sont presque impossibles.

Les routes que l'on peut rencontrer dans le Rajasthan sont essentiellement des deux-voies qui traversent d'innombrables villages et qui sont très fréquentées par les camions Tata (véritable terreur de la route) qui sillonnent le pays. Ce sont, à mon avis, les routes les plus dangereuses.


Ici peu de déplacements de loisir, le prix de l'essence est d'ailleurs prohibitif (1 euro le litre, ce qui représente la moitié du salaire journalier d'un ouvrier).


Sur ces voies, les camions et les cars pullulent et, pour éviter de freiner et de se relancer, ils doublent quand bon leur semble.


Les véhicules se trouvant en face, quels qu'ils soient, doivent se jeter dans le fossé pour leur laisser la route libre. Et parfois ce genre de manœuvre est mortel comme je pourrai le constater à plusieurs reprises.

Il existe encore beaucoup de routes à une voie, la circulation y est moins dense mais la rencontre avec un camion ou un car est un véritable cauchemar qui se termine invariablement dans la poussière.

Les seuls moments de répit, je les trouverai sur les pistes du désert du Thar et parfois au cœur des zones désertiques sur des routes goudronnées, la densité de population tournant autour de 40 habitants au kilomètre carré.

Il faut dire que la Enfield a de surprenantes capacités de franchissement tout terrain. Son pneu à profil arrière carré (!) s'enfonce difficilement dans le sable, lui permettant de passer où de nombreuses motos modernes ne pourraient jamais s'aventurer. Par contre, le pneu avant ligné est un véritable cauchemar : tous les gravillons de la route s'y coincent et il faut souvent les en déloger.

Reste à parler de la conduite en ville. Chaque traversée de ville est une épreuve, la circulation y est dantesque... Chacun slalome, se frôle, se coupe la route avec une habileté démoniaque.

Une seule chose à faire pour l'Occidental stressé : rouler droit et suivre son chemin. Surtout ne pas avoir un comportement déroutant car miraculeusement il n’y a pas le moindre accrochage.

Si les Indiens peuvent prévoir votre trajectoire, tout se passe bien. Les véhicules passent à gauche et à droite, devant ou derrière, parfois à 2 cm de vos jambes, mais jamais ils ne vous touchent.

On met longtemps à comprendre ça. Mais lorsque c'est compris la tension baisse franchement !

Voilà pour ce qui est de ma petite expérience de la circulation en Inde.

En conclusion, je dois avouer que j'ai pris très peu de plaisir à ce périple sur la route, décidément trop stressant.

Mais en tout cas je suis fier de pouvoir dire : JE L'AI FAIT ET JE SUIS VIVANT !