Nous avions fait un voyage en Slovénie, l'année
dernière : 2 500 km à travers l'Italie et la Slovénie en moto Guzzi 850 T3. La partie slovène du voyage, en particulier
la quiétude et la beauté des paysages, m'a fait tomber amoureux de ce pays. La
vallée de la Socca et les Alpes juliennes resteront pour moi parmi mes plus beaux souvenirs de voyage,
tant à cause des paysages que de la gentillesse des gens.
Je m'étais juré de retourner dans cette
ex-Yougoslavie que la guerre avait déchirée et qui est fuie par les touristes
(ce qui n'est pas la moindre des qualités d'un voyage dans ces contrées bien
que les habitants ne partagent sûrement pas mon avis !). Bref j'ai passé
l'année précédente à attendre avec impatience la possibilité d'y retourner.
Connaissant la Slovénie, je me suis fixé comme objectif la Croatie et
éventuellement la Bosnie, si la situation politique le permettait. Je pensais y
retourner seul s'il le fallait !
Au cours d'un week-end dans les Cévennes, je
parlais une fois de plus de mon projet, en présence des amis qui m'entouraient
à cette occasion : Francine et Joachim se sont déclarés intéressés par le
projet. Et nous avons commencé à organiser ce périple ensemble. Mais le groupe
devait encore s'agrandir ! Lors d'une rituelle rencontre motarde au
Mistral (bar bien connu des guzzistes
montpelliérains) je discutais de mon projet qui suscita l'intérêt de quatre
personnes supplémentaires : à savoir Annie et Philippe ainsi que Isabelle
et Jean-Michel. Hélas, rapidement, il s'avéra que seuls Annie et Philippe pourraient nous suivre dans ce voyage. Enfin, Christian avec
qui j'avais fait un excellent trek dans l'Atlas marocain était également
intéressé par l'aventure. Il s'avéra la veille du départ qu'il renonçait pour
cause de projet immobilier : une excuse que personne d'autre que lui ne
pouvait inventer ! (Nous avons tous soupçonné surtout un manque de
confiance dans la fiabilité de sa moto italienne !) Bref, le groupe
définitif était constitué de Francine et sa Honda CB500, Annie et sa Ducati 750 Mostro, Philippe et sa
Honda 650 Revere, Joachim notre Allemand de service
en Kawasaki ZRX1200 et de moi-même qui, devant les performances et la fiabilité
du parc moto représenté, ai lâchement renoncé à utiliser ma moto Guzzi 850 T3 pour lui préférer ma BMW K75, que j’ai pensé
plus à même de suivre cette horde de motos japonaises et italiennes aux
performances bien au-delà de la Guzzi.
Le programme approximatif était d'atteindre la frontière
slovène au deuxième jour après une traversée de l'Italie par l'autoroute
(l'expérience vécue de plusieurs participants quant aux routes nationales
italiennes et leur anarchie nous faisant préférer cette solution qui il est
vrai a quelque peu pesé dans ma décision d'utiliser la BMW). Rendez-vous donné
à Joachim à Gorizia, en Italie, où il doit nous rejoindre depuis la Suisse.
Visite prévue de Zagreb puis descente à Trogir (près
de Split) où, grâce à Joachim, nous aurons la possibilité de louer la maison
d'un de ses collègues d'origine croate. Nous devons y rester une semaine et
cela doit être notre point de départ pour visiter la région (passer en Bosnie,
j'y tiens particulièrement, et éventuellement descendre à Dubrovnik bien que
cela rallonge quelque peu notre périple). Puis retour en passant par Venise,
nous devons consacrer une journée à cette ville, et enfin retour après 15 jours
à Montpellier après une nouvelle traversée de l'Italie par l'autoroute.
Nous prévoyons donc du matériel de camping,
une grande partie de notre voyage devant s'effectuer de manière itinérante. La
veille du départ est bien sûr consacrée à la
préparation des affaires et à la révision des motos. Le pneu arrière de la BMW
est changé quelques jours avant le départ ainsi que tous les fluides (huile,
liquide de refroidissement) ; ce n'est pas du luxe car la K75 a effectué
plus de 10 000 km depuis son achat en juin 2002 !
Hélas, catastrophe : à 4 jours du départ,
ma carte bleue a été piratée et 1 400 euros de retrait ont été effectué à mon
insu en Espagne (le piratage de mon numéro a sans doute eu lieu le weeek-end précédent lors de mon voyage à Barcelone, à
l'occasion de la soutenance de thèse de mon amie Laura !). Je me retrouve donc
avec un compte à sec et plus de carte internationale de paiement ! Il
n'y a qu'à moi que des choses pareilles arrivent !
Il me faudra moult appels téléphoniques et de
belles crises de nerfs au vu des erreurs commises par le service des cartes
bleues (opposition non effectuée, puis opposition sur ma nouvelle carte, enfin non-renouvellement de la troisième carte !) pour
arriver à la situation suivante à mon départ : 500 euros que je retire en
totalité sur mon compte et aucun moyen international de paiement !
Heureusement, que je ne pars pas seul...
Bref, le vendredi soir, la moto lourdement
chargée, le plein est fait : je pars pour passer la nuit à Montpellier
afin d'être à l'heure au RV fixé à 7 h du matin. La nuit est longue,
l'excitation de l'attente depuis un an de ce départ ne m'aide pas à m'endormir.
Je crois qu'il en est de même pour Francine.
Samedi – On the road again !
Réveil matinal mais combien il est doux de se lever aux
aurores avec la perspective d'un voyage de 1 500 km ! Enfin un voyage en
moto parce qu'en voiture je n'ose même pas imaginer la torture !
J'ai choisi de rouler équipé de mon pantalon
de cuir, d'un tee-shirt ajusté afin qu'il ne flotte pas au vent et de mon
blouson d'été renforcé. Je serai chaussé de bonnes chaussures de randonnée qui
permettent à la fois de rouler à moto en toute sécurité et de marcher
confortablement lorsque le besoin s'en fait sentir. J'ai opté pour un casque
Jet à longue visière après bien des hésitations. Je sais que ce n'est pas
raisonnable, surtout si je me souviens de ma précédente chute à 120 km/h, mais
j'ai décidé de privilégier le confort à la sécurité pour cette fois. Je suis le
seul à adopter cette solution. Tout le monde est équipé de casques intégraux...
Question vêtements, tout le monde a opté pour du matériel lourd et les 35
degrés prévus pour la journée risquent de bien nous faire souffrir ! Nous nous rendons chez Annie et Philippe, lieu du rendez-vous.
Les motos sont bien dans la cour mais les pilotes ne sont pas encore
prêts ! Ils se dépêchent et nous partons enfin pour nous arrêter à...
l'entrée de Montpellier où Annie et Philippe font le plein de leur moto, tout
en avouant que cela n'est pas très fair play ! Le retard n'est que de 30 minutes, c'est plutôt
un bon score pour un départ de quatre personnes. Je me promets de retenir que
donner rendez-vous chez les gens n'est pas une bonne idée !
Direction autoroute jusqu'à Orange, soit 100
km avalés à bon rythme, la progression du groupe est soudée et je pense que
nous n'aurons pas de problème pour progresser en groupe, tout le monde étant
très discipliné !
Nous sortons de l'autoroute pour une première
pause. Au péage deux gros 4x4 attendent, nous allons vite savoir quoi. Pendant
cette pause, j'avoue que mon casque est très bruyant sur l'autoroute et à cette
allure la traversée de l'Italie promet d'être épuisante. Mais Philippe a la
solution (durant tout notre périple nous profiterons de son expérience de la
moto en partie acquise lors des années qu'il a passées comme mécanicien sur les
circuits de course) : il extrait une paire de bouchons d'oreille d'un sac qui
doit en contenir une vingtaine ! Mais voilà ce qu'attendaient les 4x4: une
belle Harley sapin de Noël immatriculée dans les Bouches-du-Rhône... en
descend, un bedonnant notaire cinquantenaire, dégarni, portant beau jean neuf
et blouson de cuir immaculé ! il est immédiatement
rejoint par un bel exemplaire de pouf à Harley surbronzée
aux séances d'UV et bien sûr portant un jean trois tailles trop petit. Il
s'avère que le spécimen a été amené au rendez-vous par son père (si si !), propriétaire d'un beau 4x4 V6 coréen ! Tout ce
beau monde, chaussé de petit Jet, pas de gants, démarre dans un bruit
d'enfer... tout cela sans un regard vers nous.
Nous démarrons aussi et passons bien vite le
couple que nous ne voulons pas « subir » lors de la traversée
d'Orange. Je prends la tête du groupe car je connais bien la route jusqu'à
Briançon pour l'avoir pratiquée souvent, en particulier lorsque nous étions
invités chez Marion près du fort de Mont-Dauphin. Pas de problème de
progression si ce n'est que le casque de Francine lui fait atrocement mal au
bout d'une heure. Ce phénomène n'est pas nouveau et il nous avait déjà gêné
lors d'un périple en Andorre et Catalogne. Arrivés près de Nyons, nous avons
progressé vite et nous somme en avance sur notre programme de la journée. Je
sais qu'il existe un musée de la moto dans cette ville pour avoir déjà essayé
deux fois de le visiter et nous décidons de faire une tentative de visite. Ce
sera un troisième échec et je me promets de ne jamais remettre les pieds dans
ce musée. En fait, nous aurons l'explication de la difficulté à entrer dans ce
lieu de culture motocycliste : il appartient à des Belges qui l'ouvrent sur
rendez-vous et comme ils ne sont pas souvent là...
Arrêt déjeuner à Gap, où l'on gardera
longtemps le souvenir des délicieuses crêpes chocolat, crème de marron
chantilly mais aussi du 4x4 dont la décoration a été refaite à l'occasion d'un
mariage avec balai guirlande et même casserole traînant par terre ! les motos sont garées bien loin de nous et non attachées
mais le patron du restaurant nous a assurés de l'absence de criminalité dans la
ville, ce qui s'avérera exact. La route est très chargée jusqu'à Briançon,
c'est peu agréable et assez fatigant. Heureusement, nous arrivons tôt. Le
problème de casque de Francine s'est aggravé et elle décide d'acheter un
nouveau casque à la place de son Shoei haut de gamme
et neuf... Nous courons donc les trois concessionnaires moto de Briançon.
Hélas, peu de choix pour les casques intégraux, par contre les gens s'avèrent
très gentils. Finalement, c'est chez un vendeur de quads
qu'elle fait l'acquisition d'un intégral Airoh. C'est
un modèle assez bon marché mais surtout il arbore un look « street fighter » du plus bel
effet dans sa teinte titanium (pas gris, hein : titanium). Elle va faire peur aux enfants sur la route mais
il semble plus confortable que le Shoei qui est
laissé en dépôt- vente. Le patron du magasin s'avère être très sympa. Nous
partons à la recherche d'un camping qui nous a été recommandé. Il est bien
plein : dans deux jours, le tour de France doit passer par là et les cyclistes
amateurs français et italiens ont envahi la place. Nous trouvons finalement un
minuscule emplacement que nous devrons partager avec deux motards hollandais
descendus de leur pays natal avec une R100 RS et une R 100 RT. A côté de nous,
un bel exemple de couple de beaufs en caravane qui, dès notre arrivée, se
plaindra de la gêne engendrée par le passage des motos devant son petit univers
peuplé de la femme, du môme qui couche dans une minuscule tente à distance de
ses parents (comme on le comprend) et, cerise sur le gâteau, du chien Orphée,
caniche nain ridicule. Bonne douche avant une bonnee
nuit réparatrice.
Dimanche – L'Italie, ça se confirme cette année encore !
Lever matinal à 8 h : il faut dire que la journée
s'annonce être celle qui sera la plus épuisante de notre périple, l'avenir
prouvera pourtant que non ! Nous devons traverser l'Italie du Nord, de
Briançon à Gorizia sur la frontière italo-slovène où nous devons retrouver
Joachim. Nous nous sommes promis de nous envoyer des textos sur nos portables respectifs afin de suivre nos
progressions vers le point de rendez-vous. J'ai cru comprendre que Joachim
avait les mêmes réticences que moi vis-à-vis des Italiens. Cela a d'ailleurs
donné lieu à une discussion animée hier soir, Annie et Francine trouvant les
autochtones italiens plutôt sympathiques, inutile de dire que ce point de vue
ne peut être que féminin.
Il a fait assez froid dans la nuit, Briançon est la plus
haute ville d'Europe à près de 2 000 m, et dans un optimisme excessif certains
d'entre nous ont négligé de sortir leur sac de couchage : je
finirai la nuit dans mon blouson de moto et Philippe se lèvera dans la nuit
pour sortir son sac des sacoches ! Les filles ont été plus prévoyantes. Le
petit déjeuner est pris dans une température qui rend nos doigts gourds, une
sensation oubliée depuis longtemps et bien inattendue après la canicule de
la journée d'hier ! Nous quittons le camping aux aurores donc, non sans
que le K75 qui était sur sa béquille latérale, et a donc rempli ses cylindres
d'huile (défaut bien connu de la série K de BMW), ait copieusement enfumé notre
cher voisin. Etrange comme la moto a si bien su nous venger de la mesquinerie
humaine. C'est donc sous des regards haineux que nous reprenons notre route après
quelques courses. Nous passons le col de Briançon sans problème particulier
malgré une circulation dense et nous subissons quelque dépassement hasardeux de
la part de plusieurs motards italiens dont un en Multistrada
avec passagère. Le rodage de celle-là risque d'être bien massacré. Nous
arrivons en vue du premier péage (mais pas du dernier, nous en croiserons une
demi-douzaine au bas mot jusqu'à Gorizia !).
Rapidement on nous rappelle que nous sommes en
Italie : alors que je paie un péage de 40 centimes d'euros avec un billet
de 10 euros, le préposé au péage tente une minable escroquerie en me rendant la
monnaie ! Je ne m'en suis pas aperçu tout de suite mais le « bonne
route » lancé en italien lorsqu'il me tend la monnaie me met la puce à
l'oreille. Je rejoins le groupe qui m'attend plus loin et recompte ma monnaie,
il manque un euro ! Bienvenue en Italie ! Je retourne le voir, je
suis furieux, il le comprend bien à mon regard noir, il me suffit de tendre le
bras pour que l'euro manquant se retrouve au creux de ma main... Minable petit
escroc ! Il reste encore 500 km d'autoroute, il ne nous faut pas traîner !
Nous croisons (enfin doublons car à 150 km/h les autres véhicules défilent dans
nos rétroviseurs) beaucoup de Harley, dont un chapter
complet d'un HOG local. Tous ces méchants rebelles sont sagement alignés sur
deux files se traînant sur la voie centrale de l'autoroute au grand dam des
automobilistes. Ils sont encadrés de près par le chef de groupe seul devant et
personne ne dépasse ! Bel exemple d'esprit de liberté et de rébellion !
Nous nous arrêtons sur une aire
d'autoroute pour déjeuner, le seul coin d'ombre se trouve entre les toilettes
publiques et les poubelles de la station-service ! Pas le choix, la température
doit allègrement dépasser les 35 degrés, nous avalons rapidement notre
pique-nique. Non sans avoir visité les toilettes climatisées, véritable bonheur
dans cet enfer chauffé à blanc. D'ailleurs, mon pantalon de cuir et mon blouson
sont trempés de sueur, les parties sombres de mon casque peuvent à peine être
touchées...
Nous continuons donc pour une étape sans arrêts de 220 km
avalés en une heure, il est clair que l'on n’a pas traîné sur cette étape ! les réservoirs réclament leur ration de liquide, nous nous
arrêtons donc et en profitons pour nous offrir quelques boissons fraîches.
Alors que nous dégustons les liquides rafraîchissants, voilà un nouveau groupe
de harleyistes qui arrive. Leur déguisement flambant
neuf nous fait presque peur : surtout le t-shirt arborant le slogan « fuck the world » alors que
son propriétaire descend d'une moto à plus de 100 000 francs... Décidément,
comme dit le proverbe, « motard rime trop souvent avec connard ».
Tout au spectacle des nouveaux arrivants, nous nous levons pour repartir...
hélas j'oublie mes lunettes de soleil sur la table, le temps de m'en apercevoir
et de retourner les récupérer, on me les a déjà volées ! Ceci a la vitesse de
l'éclair car il c'est passé moins de deux minutes avant que je m'en aperçoive.
C'est bien clair, nous sommes encore en Italie. Je suis obligé d'en racheter
dans la station-service, impossible de rouler sans avec cette luminosité...
Dans mon for intérieur, je prie pour quitter le plus rapidement ce pays. Nous n'avons
heureusement plus besoin de faire de halte jusqu'à Gorizia. Nous atteignons le
lieu de notre rendez-vous à 18 h, c'est ce que nous avions prévu. Nous nous rendons directement à la gare où nous retrouvons
Joachim attablé devant « ein grosse Bier ». Les retrouvailles sont chaleureuses et nous
sommes fiers de cet exploit de nous retrouver à 1 000 km de distance de nos
points de départ à l'heure donnée ! Il est maintenant temps de passer la
frontière pour nous trouver en Slovénie un lieu de couchage.
Quel plaisir de rouler à nouveau dans ce pays
un an après l'avoir découvert. Etrange comme le paysage de Slovénie respire le
calme et la volupté, la douceur verdoyante du paysage nous emplit l'âme de
sérénité. Nous parcourons une vingtaine de kilomètres ; pas de camping en
perspective. Alors que nous traversons une petite ville, Annie et Philippe,
visiblement épuisés par notre journée, repèrent un hôtel, ils ne veulent pas
faire un kilomètre de plus bien que nous soyons à une vingtaine de kilomètres
d'une ville beaucoup plus touristique. Ils vont se renseigner sur le prix, il
s'avère qu'il s'agit d'un hôtel luxueux et le prix des chambres est très élevé
pour le pays. Je suis plutôt partisan d'un bivouac mais mes camarades semblent
franchement opposés à cette idée ! Il faut dire que le vent s'est levé et il
s'agit presque d'une tempête. Je finis par me ranger à leur idée. Nous
prendrons deux chambres ; Joachim, Francine et moi en partagerons une
tandis que Annie et Philippe occuperont l'autre. L'hôtel est sans charme mais
de grand standing, il y a même la climatisation et la télévision satellite dans
les chambres. Nous allons passer un long moment de rigolade devant une émission
de télévision slovène qui retransmet un spectacle d'enfants imitant des
patineurs artistiques ! Les décors construits sûrement par les parents,
l'approximation de la chorégraphie et les chutes qui parsèment les numéros nous
font rire aux éclats. Il est temps de nous rendre au restaurant de l'hôtel où
nous sera servi un très copieux repas et nous rejoignons notre chambre pour un
repos bien mérité. Je partage le lit avec Joachim, nos tailles respectives
auraient rendu le séjour dans le canapé très inconfortable et heureusement
Francine a la gentillesse de l'utiliser.
Dimanche – La Croatie enfin !
Réveil assez tardif et superbe petit déjeuner (compris dans
le prix de la chambre !). Grosse rigolade du matin lorsque Joachim nous
explique qu'il a appris à apprécier les saucisses au petit déjeuner pendant une
randonnée ! Il faut dire que ce style d'humour ne nous quittera plus de
tout notre périple ! Nous rechargeons les motos et reprenons la route, Joachim
passe devant et je le suis de près. Il faut dire qu'il n'aime pas trop rouler
derrière quelqu'un et lorsqu'il s'y astreindra, ça ne sera jamais pour très
longtemps : d'une puissante et inattendue accélération sa ZRX de 140 chevaux
nous laissera souvent littéralement sur place !
Bien que le parcours que nous avons repéré
avant le départ nous semble évident, nous parvenons à nous tromper mais
finissons par rattraper in extremis notre itinéraire à un croisement que le
reste du groupe passera dans un bel élan d'optimisme.
Les charmes de la Slovénie séduisent tout le
monde et progresser sur ses petites routes qui traversent forêts, champs et pâturages
luxuriants est un vrai plaisir que nous savourons à sa pleine mesure après la
longue étape d'autoroute d'hier. Les virages succèdent aux petits villages tous
plus empreints de sérénité les uns que les autres. Nous nous
arrêtons dans un Mercator (petit supermarché local), le choix est digne des
meilleures chaînes occidentales !
Il faut dire que la Slovénie est un pays riche, le niveau
de vie y est supérieur à celui de la Grèce et du Portugal, et elle est l’une
des candidates les mieux placées pour élargir l’UE.
D'autre part, elle a été la première à déclarer son indépendance en 1991, très
vite reconnue comme Etat indépendant d'abord par l'Allemagne puis par la CEE,
elle n'a connu que 10 jours de conflits avec l'armée yougoslave majoritairement
serbe. Le pays a une forte identité depuis très longtemps et il était considéré
comme la Suisse de la Yougoslavie ; la présence de peu de minorités,
particulièrement serbe, lui ont évité les drames de la Croatie et de la Bosnie
face à l'hégémonisme serbe. Par contre, tous les signes d'appartenance à
l'ex-bloc de l'Est ont été méticuleusement effacés, et le cadre de vie, parc
automobile compris, ressemble beaucoup à celui d'un pays européen.
Mais pour l'immédiat un problème se pose, nous
n'avons pas changé d'argent local (le tollar ! ca ne s'invente pas). Heureusement une carte Visa
internationale nous sauve une nouvelle fois. Nous pouvons donc partir à la
recherche d'un lieu de pique-nique. Nous trouverons notre bonheur au bout d'un
petit chemin de terre qui mène à la lisière d'un bois. Nous nous
installons pour un déjeuner sur l'herbe (pas de rivière, hélas, comme dans
celui de Monet !). Le repas est suivi d'une sieste réparatrice pendant
laquelle Annie sera piquée par une tique, pas si accueillant ce petit champ !
La route nous attend et nous partons après
avoir mis au point un itinéraire de petites routes pour rejoindre la frontière
croate. Arrivés à une bifurcation, nous commençons à nous engager sur une piste
forestière non goudronnée. Après quelque kilomètres,
un panneau nous indique qu'il faudra sans doute suivre cette piste sur 20 km.
Joachim, Francine et moi sommes prêts à tenter l'aventure bien qu'une
dénivellation de 27 % soit indiquée quelques kilomètres plus loin. Hélas, Annie
et Philippe, bien que leur moto soit plus légèrement chargée, ne veulent pas en
entendre parler ! Décidément, ce voyage ne sera pas effectué sous le signe de
l'aventure !
Disons à leur décharge que maîtriser une Ducati sur ce genre de terrain ne doit pas être facile.
Tant pis, demi-tour, et nous repartons à la recherche de l'itinéraire
goudronné.
Mal m'en prend au sortir de la lisière de la forêt, une
guêpe heurte ma visière et est projetée dans le col de mon blouson. Sans doute
dans un mouvement de défense, elle me pique à la base de la nuque. La douleur
est fulgurante, et je manque de quitter la route. La moto cale et le groupe
s'arrête, j'explique ce qui m'est arrivé et Philippe intervient avec un aspi-
venin. Le soulagement est immédiat mais je conserverai une forte inflation à
l'endroit de la piqûre pendant plusieurs jours.
Nous roulons maintenant dans une vallée
couverte de vignobles. Elle est constituée de coteaux au sommet desquels se
trouvent les habitations, aucun chemin d'accès n'est visible... Le
particularisme de cette vallée mérite une séance de photographie. Mais bientôt
voilà la frontière slovéno-croate. Le no man's land
est désespérant de tristesse et de laideur mais nous passons les postes
frontières sans problème et sans attente notable. Les motos attirent peu la convoitise
des douaniers, il nous a fallu juste tendre nos passeports pour que d'un geste
magnanime et hautain on nous fasse signe de passer... Décidément tous les
douaniers du monde se ressemblent et assurément le sourire et la sympathie ne
doivent pas faire partie des critères de recrutement.
Cette fois, nous sommes en Croatie, but de
notre voyage ! Nous sommes bien contents que la partie la moins
intéressante de notre voyage soit derrière nous, les découvertes vont pouvoir
commencer. Nous changeons des euros contre des kunas
croates et évitons le piège de nous engager sur l'autoroute qui s'ouvre juste
devant nous. Grâce à une observation méticuleuse du terrain, nous découvrons
une minuscule route rejoignant une nationale ; il est difficile de croire
que les choses ne sont pas faites pour que le voyageur aille directement vers
le péage !
Nous décidons de rejoindre la première ville
afin de fêter notre entrée sur le territoire croate avant de rejoindre Zagreb,
but de la journée, qui se trouve à quelques encablures de la frontière.
Dès les premiers kilomètres, nous pouvons nous
rendre compte que la Croatie n'est pas la Slovénie. Le parc automobile est bien
plus obsolète et les vieilles Yugos, Zastava et autres Lada restent ici très nombreuses.
L'habitat est moins luxueux, et certaines maisons sont bien décrépites, la
propreté ambiante n'est pas au mieux.
Mais le choc viendra surtout pour nous de voir
les motards que nous croisons ne portant pas de casques, pourtant nos guides
indiquent bien que le port du casque est obligatoire pour les deux-roues. Du cyclo Tomos aux grosses
cylindrées sportives, tous sont tête nue. La situation frise parfois le
ridicule lorsque nous croisons un adolescent en scooter portant des gants en
plastique transparent ou ce propriétaire de grosse sportive japonaise arborant
une splendide protection dorsale flambant neuve mais tête nue et sans
gants !
D'après nos guides (le Routard et le Lonely Planet : quel
luxe !), il n'existe qu'un seul camping dans la région de Zagreb : il
est temps de le rejoindre. Nous suivons les indications des guides mais
impossible de trouver trace de ce camping. Après avoir demandé notre chemin
dans un bar croate en allemand (merci Joachim), il s'avère que le camping est
situé sur une aire d'autoroute ! Joachim nous guidera de main de maître
dans l'enchevêtrement des échangeurs d'autoroute. En fait, le camping s'avère
très arboré et somme toute assez agréable. D'autre part, il n'y a pas foule et
nous pouvons choisir notre emplacement. Les tentes sont plantées, et nous
comprenons pourquoi le chargement de Joachim est si discret. Sa tente minuscule
ne peut l'accueillir qu'en diagonale et il n'a pas de tapis de sol, ce qui lui
prédit des nuits bien inconfortables ! A la guerre comme à la guerre (mais
cette expression ne risque-t-elle pas de choquer un Allemand de souche) !
Nous prenons notre dîner dans le self-service de l'autoroute, le décor est
sinistre, digne des anciens pays du bloc de l'Est. Heureusement, la serveuse
s'avère charmante et souriante. L'assistance est constituée de Croates dont un
spécimen que je n'aurais pas eu envie de croiser une baïonnette entre les dents
il y a 10 ans : il mesure au bas mot 1,90 m et est doté d'une musculature
impressionnante, rehaussée de tatouages peut avenants ! Nous finissons par
aller nous coucher, bercés par le vombrissement des
camions et les rondes de la police (pas de risque de vol ici) !
Lundi – Zagreb, une capitale de l'Est
Réveil tardif pour aujourd'hui et petit déjeuner préparé
devant les tentes. Nous nous apprêtons pour la visite
de Zagreb. Pour éviter les risque de nous perdre dans
la ville, nous ne prenons que trois motos, le groupe étant plus compact il nous
sera plus facile de nous suivre. D'après nos guides, la ville est constituée de
la partie haute et ancienne et de la partie basse plus moderne. Nous décidons
de nous rendre dans la veille ville pour commencer.
Nous l'atteignons facilement, la route qui y mène longe
longuement une voie de tramway, impossible de nous tromper. Je sais que la
ville a subi le bombardement de l'aviation serbe en 1991, je cherche des traces
de destruction sur les bâtiments, en vain, tout a été reconstruit, la ville
semble n'avoir jamais été l'objet de destructions, pourtant l'aviation a bien
bombardé le centre, visant particulièrement le parlement indépendant et le
palais du Pan (vice-roi) alors que Franjo Tudjman y
résidait après avoir déclaré l'indépendance du pays. Enfin, nous constaterons
que les toits de la vieille ville sont presque tous neufs et c'est le seul
indice de combat que nous remarquerons. Mais pour l'instant nous nous garons au
pied de la ville ancienne et montons sur la colline qui l'accueille. La ville
n'a pas le clinquant de Ljubljana la
capitale slovène, particulièrement dans la ville basse qui est en fait le cœur
actif. Dans l'enceinte de la ville médiévale se trouve toutefois de fort beaux
bâtiments du XVIe et XVIIe siècle. Le toit de la
cathédrale médiévale est constitué de tuiles vernissées superbes aux couleurs
du pays. Une église jésuite dont la sobriété extérieure cache un magnifique
intérieur baroque constitue un deuxième lieu de visite. Il semble que l'on soit
en présence de baroque primitif, il est vrai que la restauration est
impressionnante de qualité, mais je suis peu fan de cette période et ne peux
porter un jugement objectif : disons que le décor est chargé. Plus
étrange, nous découvrons sous un porche un lieu de pèlerinage et de prière
couvert d'ex-votos, visiblement toujours très prisé
des Zagrébois. Il accueille de nombreux cierges face
à une statue de vierge à l'enfant qui doit sûrement, selon la croyance
populaire, avoir le don d'exaucer les vœux. D'ailleurs, des personnes sont en
prière lorsque nous passons. Nous repérons également un musée de peinture naïve
que nous nous promettons de visiter après le repas. Il est pris dans un
restaurant de cuisine local de bon standing conseillé par nos guides. Les plats
sont délicieux, l'ambiance est feutrée et plutôt huppée, nous ne cadrons pas
vraiment avec nos tenues de moto et nos éclats de rire !
Retour donc au musée après avoir à nouveau
visité le centre ancien qui s'avère décidément bien petit. Le musée est lui
bien plus intéressant. Il rassemble des tableaux de l'école naïve croate du XXe
siècle, cette école semble assez célèbre mais je crois que c'est une découverte
pour tout le monde. La qualité des œuvres exposées est vraiment
impressionnante. Je remarque particulièrement un tableau qui rappelle par sa
composition et son thème un tableau de Bruegel, représentant un chasseur
rentrant dans son village au milieu d'un paysage d'hiver (à mon retour, je
pourrai vérifier effectivement la grande ressemblance de ces deux tableaux). Un
christ en croix entouré d'une multitude de personnages, de scènes plus ou moins
burlesques ne peut qu'évoquer Bosch.
Un portrait d'homme aux yeux bleus
m'impressionne par la pureté des couleurs, de même un paysage de village peint
de nuit et dont la profondeur du ciel laisse deviner quelques nuages
(j'essaierai d'en acheter une copie en carte postale mais je renoncerai, le
rendu des dégradés de couleur étant raté).
Plus étrange, un tableau est une composition
sur le suicide collectif de Guyana dans les années 1970, le couple de singes
représenté comme témoin du drame donne une atmosphère particulièrement bizarre.
Quelques tableaux de peintres naïfs français
sont exposés, mais ils n'honorent pas la qualité de ce qui est exposé !
Décidément ce musée étonnant est bien intéressant !
Nous avons également décidé de visiter le
cimetière de la ville, qui semble être un lieu de promenade privilégié pour les
habitants de la ville, un peu comme le cimetière du Père-Lachaise peut l'être
pour les Parisiens. Nous prenons le car pour nous y rendre.
L'extérieur est constitué d'une enceinte impressionnante
qui n'est pas sans rappeler un mur de fortification moyenâgeuse. Enfin, c'est à
l'intérieur de ce bâtiment que nous découvrons une superbe allée couverte qui
accueille les familles patriciennes de la ville. Elle rivalise de faste et de
luxe, statue, colonnade, marbre, rien n'est trop beau visiblement pour honorer
les disparus ! Nous remarquons sur les caveaux nombre de noms d'origine
germanique. L'occupation du pays par l'empire austro-hongrois a laissé des
traces.
Nous découvrons aussi la tombe monumentale de Franjo Tudjman, elle est relativement sombre, toute en
marbre noir, seules sa taille et la présence de
nombreux cierges font penser qu'un homme important est enterré ici. Il faut
dire que ce n'est pas n'importe qui, il a été le premier président de la toute
jeune république croate, c'est lui qui a tenu tête à Milosevitch
lors de la guerre. Mais ce n'est pas un démocrate, loin de là !
D'ailleurs, sous sa présidence, l'Europe n'a jamais voulu d'une candidature
croate à l'agrandissement de la communauté. Il faudra attendre sa mort en 2000
et la victoire d'une coalition d'opposition à son parti pour que soient
instaurés la liberté de la presse et un véritable régime démocratique. Il n'en
demeure pas moins qu'il a mené son pays à l'indépendance et qu'il est célébré
comme un héros dans son pays (un peu à la manière d'Atatürk en Turquie), et je
pense que personne ne s'aviserait de plaisanter sur ce personnage en Croatie.
Il est temps de repartir et Joachim, Francine
et moi décidons de rentrer à pied pendant qu'Annie et Philippe reprennent le car,
rendez-vous est donné devant la cathédrale de la ville basse. C'est un bien
agréable petit parcours à pied qui nous fait prendre connaissance de la vie
quotidienne de la ville. J'aime particulièrement déambuler incognito dans une
ville étrangère, ma fondre dans le quotidien des autochtones : hélas, les
appareils photo de mes deux compagnons ne peuvent que révéler notre statut de
touriste dans la ville.
Nous avons l'occasion de faire quelque pas dans la ville,
où nous remarquons que, bien que nous soyons en début de semaine, l'ambiance
n'est pas survoltée comme dans les autres capitales et que chacun prend le
temps de vivre. Le charme des vieux tramways n'est pas étranger à ce sentiment,
nous n'aurons hélas pas l'occasion de les utiliser. Nous faisons quelques
courses dans un magasin Konsum que nous soupçonnons
être les anciens magasins d'Etat lors de la période communiste. Ils sont en
tout cas maintenant très bien achalandés.
Retour au camping où nous déjeunons dans la
bonne humeur, et l'anecdote de l'éléphant prend des prolongements insoupçonnés
où se mêlent des douaniers suisses.
La nuit est quelque peu dérangée par un
hélicoptère qui tourne avec insistance au-dessus du camping, chacun dans son
sac de couchage se demande si la guerre n'a pas repris !
Joachim aura également la joie de partager un
feu de camp que des scouts arrivés dans la soirée ont
décidé d'allumer à quelques mètres de sa tente. Il est de méchante humeur au
réveil et nous compatissons tous !
Mardi – La guerre est là
Aujourd'hui, c'est le départ de Zagreb pour la visite du
parc de Plitvice dont nous voyons partout des
affiches vantant la beauté de ce parc naturel classé au patrimoine mondial de
l'humanité par l'Unesco. Le réveil est matinal car nous devons rejoindre le
camping qui se trouve à proximité et ensuite visiter le parc. Heureusement, peu
de kilomètres nous séparent de notre futur lieu de visite.
Le camping se trouvant sur la voie d'autoroute
qui va vers Plitvice, nous ne perdons pas de temps à
chercher notre itinéraire : ça n'est pas si mal de dormir sur une aire
d'autoroute !
Nous sortons de la belle autoroute flambant
neuve dans la ville de Karlovac. En traversant la
ville, nous sommes confrontés brutalement aux stigmates de la guerre. De
nombreuses façades portent des traces de mitraillage, certains immeubles sont
criblés de balles, certaines ayant traversé les volets. De nombreuses maisons
ont été incendiées et leurs carcasses parsèment la route. Les toitures neuves
ne peuvent plus se compter. A la sortie de la ville, nous passons près d’un
ancien champ de bataille où sont exposés chars et véhicules blindés autour de
ce qui a été un lieu de violents combats, les habitations ont été rasées et il
reste des traces de bunkers. Certaines maisons portent le sigle des Nations unies,
ce qui ne les a pas empêchées d'être la cible des belligérants. Autant dire que
la traversée de cette petite ville nous impressionne, et l'atmosphère y est
lugubre.
En fait, Karlovac est une petite
ville industrielle très proche de la frontière bosniaque. Ces territoires ont
été conquis par l'ex-armée yougoslave en 1991, lors de l'offensive contre la
Croatie. Les Serbes les conserveront jusqu'en 1995, avec la contre-offensive
croate qui leur permettra de reconquérir les territoires occupés. En 1995, les
Serbes subiront une épuration ethnique de la part des Croates, d'ailleurs
certains chefs de guerre croates ont été déclarés criminels de guerre par le
tribunal de La Haye ; plusieurs ont déjà été
emprisonnés, d'autres sont encore recherchés. Les nombreuses maisons brûlées
sont sans aucun doute les traces de cette épuration.
Nous croisons des stigmates des combats sur
toute la route qui nous mène au camping à l'entrée du parc. C'est un saisissant
contraste que ces nombreuses voitures de touristes hongrois, autrichiens et
allemands et ces villages défigurés par la guerre. Le paysage naturel est
toutefois très beau, mortellement parfois, puisque nous découvrons au détour de
certains virages des panneaux indiquant des zones minées.
C'est un lieu commun que de dénoncer la folie
guerrière des hommes. C'est la première fois que je suis confronté aux traces
d'une guerre pourtant terminée depuis huit ans, et je peux dire que cela glace
le dos et fait peser une bien lourde atmosphère sur cette partie de notre
périple. Je ne peux m'empêcher de penser aux récits de mes grands-parents me
racontant la maison détruite par les bombardements et leur exode avec mes
oncles et tantes. Je pense aussi à Julien mon grand-père paternel, qui a gagné
une croix de guerre en défendant, contre l'invasion allemande (lors d'une drôle
de guerre, comme on l'a appelée, mais qui ne le fut pas pour lui), une tranchée
pleine de ses camarades tués sous ses yeux. Dieu que le visage de la guerre est
laid. Et quelle stupidité que ces films hollywoodiens qui la glorifient et la
magnifient...
Nous arrivons enfin au camping que nous recommandent fortement nos deux guides. Ils ont raison :
immense, calme, arboré et plein de jolis recoins, il est magnifique. Nous
jetons notre dévolu sur un creux bien abrité où nous plantons nos tentes.
Rapide repas dans le restaurant du camping absolument désert et nous partons
pour la visite du parc.
Le droit d'entrée pour la visite n'est pas
donné : 80 kunas ! Mais le prospectus nous informe
que le ticket donne le droit d'utiliser les bateaux et la navette permettant de
visiter l'intégralité du parc. Je me suis renseigné, en fait le parcours
complet fait 18 km et j'estime pouvoir faire le tour du parc en 3-4 heures à un
bon rythme. Après tous ces kilomètres à moto, j'ai besoin d'exercice physique
et ce parc est le lieu idéal pour me défouler un peu. D'autre part, partir seul
m'évitera les arrêts photo qui ne manqueront pas de rythmer la balade du
groupe.
Nous nous séparons
donc à l'entrée du parc. Et je pars rapidement à la découverte de cette
merveille naturelle comme le promet le ticket. J'avais décidé au départ de
commencer par la grandiose chute d'eau de 80 m. Hélas, la horde de touristes
qui eux ont décidé de finir leur visite par la chute me fait me retrouver dans
le sens inverse de la majorité ! Et là, point de salut, après quelques minutes
de bousculade où la loi du nombre prévaut, je finis par renoncer et pars dans
le même sens que tout le monde ! Heureusement, dès que je passe le quai d'embarquement
du train à touristes, je ne croise plus personne.
La découverte du parc commence donc pour moi.
Il s'agit en fait de longer une trentaine de lacs qui se jettent les uns dans
les autres. L'endroit est féerique, la couleur des eaux est hors du commun et
changeante selon la taille, la profondeur et les algues qui s'y développent.
Les bleus profonds succèdent à des verts émeraude, qui se fondent dans des eaux
grises. C’est un camaïeu extraordinaire de couleurs. Le tout dans une belle
forêt, littéralement luxuriante dans les endroits les moins fréquentés. Tous
ces lacs sont reliés entre eux par des cascades de différentes hauteurs plus
moussues les unes que les autres. En fait, le phénomène géologique des karsts,
que nous connaissons bien ici à Montpellier, ajoute à la présence de nombreux
cours d'eau qui crée ce spectaculaire phénomène. Je dois dire que je ne verrai
pas passer le temps lors des mes quatre heures de marche ! D'autant plus
qu'elle se termine par l'arrivée sur une chute d'une taille que je n'avais
jamais vue auparavant. Je ne peux m'empêcher de penser combien il serait
agréable de la descendre en rappel ! Il ne faut même pas y songer, il est même
interdit de se tremper les pieds dans l'eau des lacs (interdiction qui ne gêne
visiblement pas nos compatriotes, pourtant les panneaux représentent des
idéogrammes compréhensibles de tous ; il paraît que certains même de notre
groupe ont dédaigneusement ignoré l'équilibre de l'écosystème, mettant en
danger son fragile écosystème !).
Une belle visite mais hélas trop de monde dans les parties
les plus belles, la discipline et le respect du lieu laissant hélas à désirer.
Voilà la visite terminée et bizarrement je
retrouve mes camarades à la sortie du parc ! Mais eux n'ont parcouru que la
moitié du parc, qui plus est en abusant des bateaux électriques et autres
trains sur pneumatiques : nous ne sommes décidément pas du même monde !
Nous rejoignons le camping, qui s'est bien
rempli dans la journée. Et notre lieu de bivouac n'est pas sans nous évoquer le
siège de Dien Bien Phu,
entourés que nous sommes par moult camping-cars et caravanes ! La nuit est
bercée par les accords d'un orchestre local que Philippe et Joachim qui lui ont
rendu visite ont trouvé peu convaincant !
Mercredi – La guerre encore, Trogir
enfin
Le départ du camping est tardif et le petit déjeuner pris
sur l'herbe s'éternise. Il faut dire qu'aujourd'hui nous n'avons que 300 km à
faire pour rejoindre Trogir où nous attend la maison
que nous devons louer.
Je n'ai pas de courbatures après ma marche
forcée d'hier. Le départ est donné à 11 h et la chaleur est déjà très
oppressante, nos équipements de moto nous pèsent plus que jamais bien que
Francine et moi ayons renoncé à nos pantalons de cuir pour des jeans.
La route est très chargée, et nous sommes
obligés de dépasser de nombreux camions, ce qui rend notre progression commune
pénible. Cette route est l'axe principal qui relie Zagreb à Split, deuxième
ville du pays, de plus située sur la côte. Les voitures de touristes et les
camions se mêlent donc sur cette route à deux voies assez étroites.
La progression est si lente que soudain, d'une
belle accélération dont Joachim a le secret, il double toute une colonne de
véhicules sous les yeux d'un véhicule de police garé sur le côté de la route et
qu'il n'a sûrement pas vu ! Nous lui ferons la leçon à notre prochain arrêt,
personne n'ayant envie d'avoir à négocier une amende ou un retrait de permis
avec des policiers locaux !
Nous traversons une forêt assez dense qui est,
paraît-il, peuplée d'ours, de loups et de chevreuils. Pas de risque pour nous
d'en apercevoir avec cette circulation !
Heureusement, après la traversée d'une belle
plaine cultivée, nous devons bifurquer vers Garac.
Mais, quelques kilomètres avant cette bifurcation, nous constatons que Francine
n'apparaît plus dans nos rétroviseurs depuis un bon moment. Nous ralentissons
jusqu'à nous arrêter : toujours personne ! Philippe fait demi-tour pour savoir
ce qui c'est passé. Nous finissions par les voir arriver ensemble. Soulagement
! Nous apprenons que Francine a été prise de l'envie irrésistible de prendre
des photos alors que nous progressions à 90 km/h en slalomant entre les camions
! Et ce juste avant une bifurcation importante et ambiguë, la direction de
Split étant indiquée dans les deux directions !
Nous reprenons notre progression, cette fois
sur une route déserte, et l'allure est maintenue dans les limites légales. Nous
nous enfonçons dans la Croatie profonde, laissant
derrière nous l'axe touristique. Nous nous arrêtons
dans une petit ville qui a des allures de Far West,
pour prendre un très bon repas.
Peu après le repas, la route va se faire très
oppressante. Nous entrons dans le territoire de la Krajina, qui accueillait
avant 1995 une forte minorité serbe qui a fait sécession et qui a subi lors de
l'offensive de 1995 une impitoyable épuration ethnique. Les maisons brûlées se
multiplient, certains hameaux sont entièrement rasés, particulièrement le long
de la voie de chemin de fer. Rares sont les habitations ne portant pas les marques
de la guerre : reconstructions hâtives, toitures refaites, façades couvertes
d'impacts de balles ou carrément ruines carbonisées.
Des cimetières ont été improvisés le long des
routes, le nombre de tombes neuves nous fait penser à des emplacements de charniers.
Tout cela est très oppressant et nous nous sentons très mal à l'aise...
d'autant plus que l'ampleur des traces de destructions n'a jamais été aussi
grande.
D'ailleurs, ces impressions lugubres sont
confirmées lorsque nous nous arrêtons dans un bar pour nous rafraîchir. Nous
consommons nos boissons fraîches devant le portrait géant d'un militaire en
grand uniforme visiblement encensé comme un héros. Le bar nous semble-t-il a
été construit dans une ancienne habitation détruite. Notre arrivée a provoqué
une curiosité visiblement hostile. Nous ne nous attardons pas et cherchons un
itinéraire par les petites routes qui nous mènerait directement à Trogir afin d'être à l'heure à notre rendez-vous. Toujours
des maisons détruites au début de notre route, puis le paysage devient plus
aride, les destructions moins visibles au fur et à mesure que nous approchons de la cote... Et bientôt, au détour d'un virage,
la mer s'offre à nous. Trogir est tout proche et nous
y arrivons une demi-heure en avance !
L'ambiance est tout autre ici, elle n'est pas
sans évoquer la côte d'azur (toute proportion gardée bien sûr !) :
circulation intense, bruit, touristes en maillot de bain. Quel contraste après
ce que nous avons vu toute la journée !
Le rendez-vous a été donné avec une tante du
collègue de Joachim. Elle doit nous remettre les clés de la maison et nous y
amener. Il se trouve que cette dame est Sœur. C'est bien pratique pour
reconnaître quelqu'un que l'on n’a jamais vu et avec qui on a rendez-vous.
Surtout qu'ici la mode n'est vraiment pas à la robe de bure !
Nous nous postons
devant notre lieu de rendez-vous et attendons. Et effectivement il nous faut un
peu attendre pour voir apparaître la personne que nous attendons. Nous la
rejoignons, elle est très gentille mais ne parle que l'italien et le croate !
Heureusement, Francine a quelques connaissances dans cette langue et elle nous
servira d'interprète.
La maison s'avère immense et somptueuse. Elle
dispose de quatre chambres et est entièrement meublée. Nous tirons au sort la
plus grande chambre et c'est Annie et Philippe qui gagnent. Chacun s'installe
ensuite ou il veut.
La maison est par contre installée entre la
route nationale et un hôtel qui a été détruit pendant la guerre. Au loin on
distingue les grues d'un port de marchandises ! Disons que l'environnement
n'est pas à la hauteur de notre futur lieu de villégiature.
Nous aspirons tous à une bonne douche et à un
repas ; des que notre charmante sœur Angelica
s'en aperçoit, elle s'éclipse gentiment. Nous déchargeons les motos, les
rangeons dans le garage afin qu'elles n'attirent pas trop l'attention.
Direction le Konsum local et la journée se clôt
doucement dans les conversations du soir. Chacun est content de redevenir
sédentaire pour quelque temps !
Jeudi – Enfin sédentaire !
La nuit a été horrible ! La chaleur accablante et le bruit
infernal de la circulation nous a presque fait passer
une nuit blanche. Il faut dire que l'orientation de la pièce donne l'impression
que les voitures la traversent, s'ajoutent à ce calvaire les aboiements d'un
chien qui défend on se sait quel lopin de terre croate. La
réveil est donc tardif et douloureux !
Le petit déjeuner amène une surprise, ce que
nous avions acheté pour être du yaourt s'avère être un intermédiaire entre la
crème fraîche et le kéfir : en tout cas, c'est délicieux !
Nous nous dirigeons
vers la ville pour une rapide visite. Dans l'enceinte fortifiée datant du Moyen
Age, nous sommes en présence d'un ensemble architectural très homogène et très
bien conservé d'époque fin roman début gothique. L'enfilade de petites rues
inextricables est bien agréable, hélas une foule trop nombreuses
s'y presse ! Les matériaux employés rappellent Venise, il s'agit de ce fameux
calcaire blanc qui était exporté partout en Europe tant sa couleur immaculée a
été prisée. L'église possède un très beau portail roman orné d'une belle
statuaire dont un Adam et Eve qui encadre l'entrée. Retour par le port, où nous
constatons que les yachts de milliardaires aiment à mouiller sur la côte
croate. Nous apercevons même un peu plus loin le navire de croisière à voile du
club Méditerranée : décidément, Trogir est trop
fréquentée !
Les kilomètres parcourus les jours précédents
sont le prétexte à une longue sieste qui entamera une bonne partie de
l'après-midi. Nous enchaînons par une séance de nettoyage des motos qui, somme
toute, ne sont pas si sales après 1 500 km.
Nous nous sommes
promis aujourd'hui de partir à la découverte d'une plage accueillante. Pas
d'autres possibilités pour atteindre la mer que de longer la route. Après 20
minutes de cette épreuve, nous trouvons enfin un chemin qui nous mène au bord
de l'eau. Nous jetons notre dévolu sur un ponton d'accostage pour nous mettre à
l'eau. Il faut dire que la côte croate offre très peu de plages de sable et
qu'en général le bord de mer est rocheux.
La température de l'eau est très agréable,
Joachim s'est renseigné et annonce 28 degrés, mais d'après lui l'année est
exceptionnelle. Toujours est-il que même moi je n'ai pas de mal à me jeter à
l'eau ! J'ai amené mon matériel d'apnée et je pars à la découverte des fonds
marins.
Ils s'avère pas très
propres et les lointains tuyaux que je croise me semblent bien être des
conduits d'égout ! La faune est rare si l'on fait exception des très nombreux
concombres de mer qui ne sont pas, je crois, un signe d'eau très propre. Il y a
tout même quelques champs de posidonie.
Il faudra que nous trouvions un coin de
baignade plus accueillant, c'est sûr ! Heureusement, personne n'aura contracté
de maladies honteuses après ce bain !
Nous trouvons un sentier qui longe la mer et
traverse un joli village de pécheurs pour notre retour. Hélas, trop rapidement,
nous n'avons pas d'autre choix que de rejoindre la route.
C'est d'autant plus pénible qu'un accident de
moto vient de se produire. Un camion de pompier est sur les lieux, un homme
armé d'un jet nettoie la chaussée d'une large tache de sang. Le choc a sûrement
été rude au vu de la moto, une Honda 600 Hornet dont
l'avant est complètement enfoncé. Les conséquences ont sûrement été d'autant
plus dramatiques que le conducteur ne devait avoir ni casque, ni protection
comme il est apparemment de règle ici... Heureusement, l'hôpital est situé
juste à proximité. Nous sommes quelque peu ébranlés par cette vision, et le
repas se déroule dans le calme devant un délicieux plat de spaghettis Carbonara préparé par Annie. Nous avons décidé d'installer
notre couchage dans la pièce du rez-de-chaussée qui est a
la fois la plus fraîche et la mieux insonorisée de la maison. Nous espérons
passer une meilleure nuit que la précédente !
Vendredi – Une ville dans un palais romain !
Cette journée doit être consacrée à la visite de Split.
Deuxième ville du pays, elle se trouve à peine à 20 km de Trogir.
Nous décidons de laisser les motos au garage et d'emprunter les cars qui ici
sont très populaires. D'ailleurs, presque aucun endroit n'est inaccessible en
Croatie par ce moyen de transport !
Nous nous rendons
donc à pied jusqu'à la gare de bus de Trogir en
longeant la sempiternelle et dangereuse route nationale. Alors que nous
cherchons l'arrêt, un vieux monsieur nous aborde en s'adressant à nous dans un
français impeccable et nous demande ce que nous cherchons. Il nous renseigne
gentiment et nous apprend qu'il a habité en France de nombreuses années. Il ne
faut pas oublier que l'ex-Yougoslavie a été un pays d'émigration, d'ailleurs
principalement vers l'Allemagne où, avant l'arrivée des Turcs, les Yougoslaves représentaient la population étrangère la plus nombreuse,
nous apprend Joachim.
Après quelques minutes d'attente, un superbe
bus climatisé arrive dont le terminus est justement Split. Le luxe de ce car
est inespéré après les ruines sur roues que nous avons vu défiler ! La douce
température qui y règne est un soulagement après notre attente sur le béton
surchauffé de la gare routière. Les billets sont achetés à l'intérieur auprès
d'un aide- chauffeur à la mode marocaine.
Le car nous laisse sur le port de Split et
nous partons à la recherche du centre historique.
Quel choc lorsque nous le trouvons : il
est construit à l'intérieur d'un palais de l'époque romaine ! En fait il
s'agit de l'ancien palais de l'empereur romain Dioclétien. Dioclétien, à
l'origine fils d'esclave, est né en Croatie en 285 après J.-C. Il est proclamé
empereur par ses troupes après ses victoires sur les invasions barbares. Il est
connu pour avoir un été un des empereurs les plus cruels envers les chrétiens
qu'il martyrisa lors de son règne, sans doute pour préserver l'unité de
l'empire romain. C'est lui également qui est à l'origine de la division entre
l'Occident et l'Orient européens puisque, à la fin de son règne, pour mieux
diriger l'immense empire, il le partagea en deux. A la fin de sa vie, il se
retira dans sa région natale où il s’est fait construire l'immense palais que
nous avons devant nous. Lequel suite aux invasions
barbares qui suivirent donna naissance à la ville de Split.
Toujours est-il que ce que nous découvrons est
exceptionnel. Il résulte de l'appropriation de ce palais par les habitants au
cours du temps, un incroyable syncrétisme architectural. Bâtiments romains,
moyenâgeux et plus modernes se mêlent dans un ensemble vivant et quelque peu
anarchique. Ainsi se côtoient béton, colonnes, portails sculptés, tout ceci
peuplé d'habitants qui déambulent et vivent naturellement dans ce cadre
exceptionnel. C'est la chance de ce centre de ne pas être figé en musée mais en
perpétuel mouvement. Il paraît d'ailleurs qu'il s'agit du palais romain le
mieux conservé au monde. Une ascension au sommet de la tour de la cathédrale
s'impose ! La foule s'y presse mais certains passages assez vertigineux
font renoncer beaucoup de gens et le sommet est du coup peu fréquenté. Le
panorama sur la ville est à couper le souffle. Il permet aussi de bien prendre
conscience de la taille pharaonique de l'enceinte du palais de l'empereur.
Jamais je n'ai vu un ensemble architectural
pareil, et cette découverte me remplit d'aise. Rendez-vous a été donné afin que
chacun puisse découvrir ce lieu exceptionnel à son rythme. Tout le monde se
retrouve à l'heure dite afin de chercher un restaurant pour le repas de midi.
Nous flânons pendant l'après-midi dans le
reste de la ville qui n'a pas le charme du centre. Les immeubles en béton
évoquent immanquablement l'ex-Bloc soviétique.
Lorsque le temps de partir est arrivé, nous
cherchons un bateau qui nous ramènera à Trogir. C'est
peine perdue, il n'existe qu'une navette hebdomadaire le vendredi. Nous
rentrons donc en car, qui cette fois est loin d'être luxueux bien que plus
cher.
Nous décidons de terminer la journée par un
bain de mer. Mais cette fois nous utilisons les motos afin de pouvoir nous
éloigner plus que la dernière fois afin de trouver un lieu de baignade plus
propice. Il nous faut peu de temps pour trouver une plage agréable et nous nous
jetons à l'eau. J'ai décidé cette fois de m'entraîner un peu au crawl et au
retour je tente une exploration sous-marine de l'endroit. Il est bien plus
agréable qu'hier et il s'avère qu'il recèle même beaucoup de faune :
rascasse, crabe, sar... Ce spectacle me donne envie de plonger à nouveau !
Nous rentrons et préparons un repas de
salades : demain, une excursion en Bosnie nous attend.
Samedi – Le visage de la guerre comme jamais
Aujourd'hui doit être pour moi une des journées phares de
notre séjour. Nous avions prévu lors de notre préparation plusieurs options
quant aux visites que nous voulions effectuer ; beaucoup d'entre nous
voulaient ce rendre à Dubrovnik, hélas cinq heures de car nous séparent de
cette ville souvent qualifiée de joyau de l'Adriatique. Nous avons finalement
renoncé à nous y rendre devant la durée supplémentaire que représente cette
excursion. J'avais quant à moi émis fortement le souhait de me rendre en
Bosnie, rien ne m'aurait empêché de le faire. Je voulais en effet absolument
visiter ce pays martyr dont nous avons tous appris l'existence lors des
informations télévisées durant la guerre de 1992 à 1995. Pays martyr comme nul
en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, j'étais irrésistiblement attiré.
J'ai donc rassemblé le plus de renseignements possible avant le départ pour
savoir si ce projet était réalisable. Les informations récoltées auprès du
ministère des Affaires étrangères français étaient assez alarmistes, il
déconseillait en particulier la zone croato-musulmane qui se trouve justement
en face de Split. D'autre part, il mettait fortement en garde contre les
nombreuses zones minées présentes. Enfin, nos cartes d'assurance disaient
clairement qu'elles ne sont pas valables sur le territoire de la Bosnie (ni de
l'Irak d'ailleurs !). Les assureurs sont toujours prompts au courage et à
la prise de risques pour leur client ! Tous cela avait un parfum
d'aventure qui était loin de me déplaire. J'ai même fini par persuader mes
compagnons de me suivre.
Nous avons consulté la carte pour savoir
quelle était la première ville de Bosnie qu'il était possible d'atteindre sans
trop faire de kilomètres : il s'agit de Mostar. Il nous faudra traverser
la région de la Krajina qui a été la plus touchée par l'épuration ethnique, en
particulier des milices nationalistes croates de Bosnie contre les musulmans.
La ville de Mostar a juste été la ville la plus touchée par les combats et est
même devenue un des symboles les plus dramatiques de cette politique, en
particulier lorsque son pont ancien a été détruit par des tirs d'artillerie de
ces fameuses milices. Mais je ne dévoile rien de cela au reste du groupe pour
ne pas le décourager.
Nous avons calculé à peu près 300 km
aller-retour et nous ne prendrons que trois motos.
Départ à 10 h du matin, pour longer la
banlieue industrielle de Split. Nous enchaînons avec le contournement de Split
par les périphériques de la ville pour finalement atteindre enfin la route qui
longe la côte. Elle bien décevante ici, très fréquentée bien qu'il soit l'heure
de l'office et que les Croates très catholiques sont visiblement dans les
églises : mais c'est compter sans les touristes ! La circulation est
très dense, nous décidons donc d'improviser un itinéraire sur des routes que nous
espérons moins fréquentées. La route monte sur les hauteurs, et dès que nous
nous élevons le paysage devient grandiose ! Nous nous
arrêtons pour un arrêt photos qui s'impose. Une fois sur le plateau, le paysage
nous semble étrangement familier tant il ressemble au plateau karstique du
Larzac. Nous décidons de faire le plein en territoire croate à quelque
kilomètre de la frontière car nous ne connaissons ni la disponibilité, ni le
prix du carburant, ni même la nature de la monnaie du côté bosnien (le terme
bosniaque est réservé aux seuls musulmans de Bosnie).
La station-service est flambant neuve et pas
moins d'une dizaine de Mercedes et d'Audi sont garées devant un café attenant.
Les propriétaires sont attablés à la terrasse. Le contraste entre le luxe des
voitures et l'endroit nous met mal à l'aise. Nous ne pouvons que penser à des
voitures volées, certaines immatriculées en Croatie portant encore le sigle
européen de la l'Allemagne.
Nous repartons, la frontière est en vue et
nous avons un pincement au cœur : nous nous demandons comment va se passer
la suite. Joachim est devant, nous pâlissons quand on lui demande de se ranger
sur le côté, il en est de même pour nous tous. Nous constatons que les
douaniers apprécient peu le port des casques intégraux qui rendent difficile
l'identification de certains d'entre nous. Nous béquillons les motos et
enlevons les casques. Le douanier disparaît dans sa casemate et je remarque qu'il
note soigneusement nos identités et nous avons bien une idée de ce qu'il va en
faire. Il faut dire que les véhicules qui défilent devant nous sont tous
croates ou bosniens, pas l'ombre d'un touriste, pourtant si nombreux sur la
côte.
On finit par nous laisser circuler, nous
enfourchons nos motos.
Nos premiers kilomètres en Bosnie ne révèlent
pas de traces de la guerre, mais de nombreuses maisons sont neuves, certaines
sont somptueuses, et le parc automobile ne manque pas de nous étonner : là
encore Mercedes, Audi, mais aussi 4x4 Chevrolet, Porsche : il semble que
toutes les voitures de luxe du monde soient rassemblées ici. Nous surnommerons
d'ailleurs l'endroit « vallée aux Mercedes ». Leurs conducteurs ne
manquent pas de nous étonner également : ils sont tous très jeunes,
parfois pas plus de 20 ans. Nous nous attendions à
trouver un pays ruiné et nous ne voyons que luxe et dépenses somptuaires
partout.
J'apprendrai plus tard que nous avons traversé
le fief des milices nationalistes croates de Bosnie, que les trafics mafieux,
de voitures volées et en particulier d’armes, les détournements des aides de
l’UE, sont généralisés ici et qu'ils ont même poussé un des premiers ministres
bosnien (le gouvernement est collégial, constitue de trois premiers
ministres : un musulman, un serbe, un croate qui gouvernent à tour de rôle
sous l'autorité d'un contrôleur international) à démissionner récemment... En
tout cas, il ne ferait pas bon tomber en panne ici (heureusement que la Cagiva de Christian n'est pas avec nous !).
Toujours est il que notre malaise est grand à
traverser cette région.
Nous avons décidé de respecter scrupuleusement
les limitations de vitesse pour éviter tout problème avec la police locale (en
fait, il existe six polices locales différentes, plus une police internationale
sous l'autorité de l'ONU, constituée de 14 000 hommes). Nous ne croiserons
pourtant aucun uniforme d'aucune sorte malgré les renseignements alarmistes du
site du ministère ! Notre progression à 80 km/h sur route et à 60 km/h en ville
est très lente.
Enfin Mostar est en vue. Plus nous nous
approchons de la ville, plus les traces de la guerre sont visibles. Mais ici il
ne s'agit pas seulement de traces de balles, des armes lourdes ont été
utilisées : les carcasses en béton de certaines maisons et même d'immeubles en
témoignent. Cependant, tout cela n'est rien par rapport à ce que nous allons
découvrir plus tard... Nous arrivons par la partie catholique de la ville,
identifiable grâce à la cathédrale toute neuve qui dresse son clocher bien
au-dessus de tous les autres bâtiments de la ville. En fait, nous cherchons à
atteindre la vieille ville dont la réputation de beauté est parvenue jusqu'à
nous. Quel choc lorsque nous y parvenons, l'ampleur des destructions est
effrayante bien que beaucoup de bâtiment aient été reconstruits. La violence
des combats ici a marqué chaque façade de milliers d'impacts, avec des trous
béants provoqués par les obus. De nombreux bâtiments anciens et modernes
tiennent à peine debout. Et comble de l'ignominie, la vieille ville musulmane a
été rasée à 80 %... Le vieux pont symbole de la ville, et qui avait permis son
essor économique depuis le Moyen Age, est détruit, de même que les tours
anciennes qui le surplombaient. On s'est battu dans un musée en plein air ici.
Nouveau choc lorsque nous découvrons le
cimetière musulman dont de très nombreuses tombes neuves portent inscrite
l'année 1993. Pire encore, nous apercevons des dizaines de pierres tombales sur
les collines qui surplombent la ville... Je prends toutes ces visions comme une
immense gifle, je n'ose imaginer les souffrances qui ont été endurées ici. Que
ceux qui glorifient les valeurs guerrières viennent ici et qu'ils regardent
dans les yeux ces survivants dont beaucoup mendient pour survivre, comme nous
le constaterons...
Nous croisons aussi des gens fiers de leur
ville, comme ce musulman qui nous proposera de visiter une des mosquées
reconstruites ou ce guide qui ennène un groupe
d'Allemands à travers la ville...
A mon retour, j'ai voulu comprendre ce qui
s'était passé dans cette ville martyre. Et voilà ce que j'en ai compris. En
1992, à la suite de la Slovénie et de la Croatie, différentes factions de la
Bosnie s'affrontent. En fait, ce pays est constitué de trois ethnies : les
Croates à l'ouest, les musulmans convertis par l'invasion turque au XVIe
siècle et les Serbes à l'est. La partition se fait dans un premier temps entre
les Croates et les musulmans qui alliés réclament un Etat indépendant contre
les nationalistes serbes, qui eux veulent rester dans la coalition yougoslave
de Slobodan Milosevic. Mostar est à la frontière de tous ces groupes. Dans un
premier temps, les nationalistes serbes soutenus par l'armée yougoslave
prennent le contrôle d'une grande partie du territoire mais se heurtent à la
résistance bien que moins armée à cause de l'embargo sur les armes des Croate
et des musulmans. La ligne de front s'établit autour de Mostar qui est
bombardée depuis les hauteurs par l'artillerie serbe, dans le reste du pays les
Serbes instaurent un nettoyage ethnique contre les musulmans allant jusqu'à la
création de camps de concentration. Mais, en 1993, les nationalistes croates de
Bosnie, profitant du chaos, demandent le rattachement de la partie croate à la
Croatie. Ils sont soutenus par Franjo Tudjman. Là
encore, Mostar est à la frontière du territoire des protagonistes et cette fois
ce sont les chars croates qui se retournent contre les musulmans. Ce sont eux
qui détruiront le fameux pont... En 1995, sous la pression internationale, un
cessez-le-feu est imposé à Franjo Tudjman et à
Milosevic. Les Nations unies iront jusqu'à bombarder l'artillerie serbe qui
refuse de se retirer. L'Etat de Bosnie est créé par les accords de Dayton, il
est sous juridiction internationale bien que des institutions tripartites,
comme je l'ai expliqué plus haut, soit créées. En fait, cet Etat artificiel,
partagé entre trois ethnies, chacune minoritaire et se détestant, fonctionne
très mal et chacun s'accorde à dire qu'il ne survivrait pas au départ des
forces militaires internationales.
Quant à nous, ce que nous constatons, c'est
que les catholiques croates de l'ouest de la ville écrasent celle-ci de leur
prédominance : l'église est de loin le plus haut bâtiment de la ville, une
immense croix dressée surplombe la ville de sa morgue et les affiches vantant
la venue du pape qui a canonisé un prête croate récemment sont partout.
Décidément, ce Jean-Paul II est sûrement un des pires papes qu'a connus
l'humanité et, si ces actes sont réfléchis, son prosélytisme est vraiment
indécent, particulièrement ici...
Nous avons tous de loin préféré la partie
musulmane de la ville, dont l'atmosphère est calme et sereine, autant celle du
côté catholique a paru oppressante et froide. C'est d'ailleurs dans la partie
musulmane que nous avons décidé de manger dans une très bonne pizzeria.
J'apprendrai également plus tard que les deux
populations ne se mélangent absolument pas et qu'il est impensable pour un
Croate de se rendre du côté musulman et inversement, que la ville compte deux
mairies, toutes les institutions sont doublées... Décidément, les conflits
ethniques et religieux ne sont vraiment qu'imbécillité et obscénité, et tout
ceci au cœur de l'Europe...
Mais il est temps de partir, nous avons décidé
de ne pas reprendre le même chemin : la seule pensée de retraverser la vallée
aux Mercedes nous était très désagréable...
Nous prenons donc une route à l'est de la
ville et traversons un bois encore miné, comme nous l'indiquent
les nombreux écriteaux sur le bord de la route ! Après de nombreuses
hésitations, nous retrouvons la frontière en traversant cette fois une région
qui est plus conforme aux données économiques que nous avions sur le pays (340
euros de revenus mensuels, 40 % de chômage). La frontière est dans ce sens
passée sans problème et le douanier nous gratifie même d'un sourire lorsque
nous lui apprenons que nous sommes français. Sans doute que Bernard Kouchner
qui a été le contrôleur international du pays n'y est pas pour rien.
Hélas, les quelques heures de route qui nous
attendent pour le retour sont éprouvantes, la circulation est intense sur la
côte, au point de créer de véritables embouteillages. Et puis tous ces
touristes en maillot de bain déambulant une glace à la main, contents d'eux,
gras, plus ou moins obscènes, tout cela me semble d'un incroyable et répugnant
décalage avec se qui se passe à seulement quelques kilomètres... Heureusement,
le soleil nous gratifie d'un somptueux coucher rouge sang lors d'une descente
vers l’étincelante côte croate, qui met un peu de baume à nos âmes bousculées
par tout ce qu'elles ont vu aujourd'hui...
Lundi – Que les villes croates sont belles !
Ce matin, réveil en douceur pour nous remettre doucement de
nos émotions de la veille. Notre programme d'aujourd'hui n'est pas très
chargé : nous avons juste décidé de visiter la ville de Sibenik qui se trouve à une cinquantaine de kilomètres de Trogir. Toutefois, pour éviter le plus fort de la chaleur
qui nous a fait tant souffrir à Mostar au point que certains se trouvaient mal, nous ne partirons qu'en fin d'après-midi.
Le repas est léger et constitué de différentes
salades, ça n'est pas un mal pour nos estomacs ! Une baignade s'impose
après le repas, nous rejoignons la plage en moto. Nous avons décidé de pousser
encore un peu plus loin notre exploration de la proche côte qui nous entoure.
Nous partons donc à pied à travers les rochers, à la quête d'un endroit
tranquille car à cette heure la plage est fréquentée ! Nous repérons une
jolie anse justement à l'ombre. Hélas, un vieil homme s’y trouve déjà !
Voyant nos hésitations, il nous invite gentiment à venir le rejoindre. Nous
acceptons d'autant plus facilement que nous allons pouvoir utiliser deux
parasols qui sont plantés là à loisir. Nous engageons la discussion avec lui en
anglais et nous apprenons qu'il est né à Trogir mais
vivant en Italie : on peut dire que pour lui l'Europe ça n'est pas une
plaisanterie !
Nouvelle séance d'apnée pour moi d'une heure
environ, décidément je suis un peu déçu par les fonds ici, je suis même tombé
sur une décharge sous-marine ! Espérons que les centres de plongée que
l'on a vus un peu partout proposent des sites un peu plus protégés et
agréables ! Je fais toutefois des émules puisque Francine et Joachim
m'empruntent mon matériel pour partir à la découverte sous-marine des environs.
Une baigneuse fait de même à côté de nous sur un matelas pneumatique, et ce
dans une position plus que suggestive, ce qui nous laisse hilares quand
nous voyons la tête que fait son copain resté sur la rive !
Il est 15 h et nous sortons les motos du
garage pour notre excursion. Nous passerons par l'intérieur des terres à l'aller
pour rejoindre Sibenik au plus vite, nous
emprunterons la route de la côte au retour. Rapidement, la route s'élève et la
splendeur de la côte s'offre à nous. Ce pays n'est jamais aussi beau que
lorsque l'on prend de l'altitude. Un arrêt contemplatif s'impose ! Nous
reprenons notre progression toujours au milieu d'un plateau qui nous évoque
immanquablement le plateau karstique du Larzac. Nous croisons un bus qui a
visiblement brûlè dans la journée sur le bas-côté de
la route. Apparemment, il n'y a pas de victimes et la voiture présente sur les
lieux ne semble pas harassée par le travail.
Sibenik est vite là
et nous dirigeons vers le centre-ville où se trouve la cathédrale. Nos guides
la présentent rien moins que comme le joyau architectural de l'Adriatique !
Effectivement, l'éclatante blancheur du bâtiment révèle de très belles
proportions toutes en rondeur. Nous sommes en présence d'un bâtiment construit
pendant la période de transition entre le gothique et le style Renaissance. Il
me semble quant à moi qu'elle se rapproche assez nettement de ce qu'a pu
produire l'architecture Renaissance de Venise. Elle n'est pas immense mais le
fameux calcaire blanc de Hvar lui donne un éclat particulier. Elle a été
récemment restaurée car elle fut lourdement touchée par les bombardements
serbes de 1991, comme l'usine de production d'aluminium qui elle n'a jamais été
reconstruite, ce qui a entraîné une forte perte de pouvoir d'achat pour les
habitants de la ville. La restauration a été assurée grâce au financement de
l'Unesco et les architectes modernes n'ont pas réussi à reproduire la technique
sans scellement qui avait été employée à l'époque ! L'intérieur est
quelque peu chargé comme il était de mise à cette époque. L'architecture
intérieure un peu lourde est loin de valoir celle de l'extérieur du bâtiment.
Particulièrement la représentation des portraits de 70 contemporains qui sont
la grande originalité de la cathédrale. Ils sont comme autant d'instantanés des
visages de l'époque. Représentations d'hommes et de femmes sont confondues,
leur modernité est étonnante, et l'on reste fasciné par des visages que
justement l'on dévisage !
Nous poursuivons par une visite de la ville et
en particulier de sa citadelle. Ici la côte est séparée par un long fleuve qui
se jette dans la mer par un étroit chenal. Là encore, le spectacle est
magnifique. Particulièrement l'entrée et la sortie des bateaux dans le port
puisqu'ils sont obligés d'emprunter l'étroit chenal. Quelle quiétude il ressort
de ce paysage... Bien sûr de nombreuses îles sont également visibles au loin !
La citadelle aussi a été bombardée et on voit des traces de fixation de ce
qu'on pense être des batteries ariennes. La guerre est visiblement partout.
Nous redescendons dans le centre et nous
attablons devant des boissons fraîches pendant qu'un banc de dauphins remonte
le port à quelques mètres des quais !
Nous rejoignons les motos et empruntons la
route qui longe la côte pour retourner dans notre home, sweet
home ! Plusieurs arrêts sont nécessaires pour apprécier pleinement la
beauté de la côte. Nous nous arrêtons dans la petite
ville de Premesten, qui est constituée d'un petit
village fortifié. Hélas, le lieu est envahi par une véritable horde de
touristes attirés par un orchestre local qui nous gratifie de reprises approximatives
de chansons anglo-américaines. Nous montons au sommet du village pour y trouver
un peu de calme. Bien nous en fait puisque se trouve là l'église du village
entourée de son cimetière. Nous savourons le calme de l'endroit sous un
magnifique soleil couchant, assis sur les tombes. Mais il est tard et il est
temps de trouver un lieu pour manger loin du vacarme du village. Nous allons
trouver notre bonheur sur une presqu'île. Hélas, l'endroit est trop touristique
pour être à la fois bon marché et de bonne qualité malgré la gentillesse et la
bonne volonté de la serveuse. Le retour se fait de nuit, guidés par les
lumières de la côte.
Mardi – Les robinsons croates
Pour notre avant-dernière journée en Croatie, nous devons
prendre une navette maritime afin de nous rendre sur l'île de Drvenik, au large de Trogir. Le
départ du ferry se fait à 12 h, ce qui nous laisse le temps de vaquer en toute
quiétude à nos différentes activités dans la maison jusqu'à une heure tardive
et ce au son de la musique que j'ai amenée et qui nous change agréablement des
CD d'orchestre locaux que nous avons trouvés dans la maison. Nous avons en
effet réussi à brancher mon lecteur mp3 sur la chaîne hi-fi, et l'on profite à
fond du Mambo n° 5 !
Nous nous rendons sur le port en
traversant une fois encore les rues tortueuses du vieux Trogir.
Et nous nous pressons à l'embarquement. Le bateau nous attend : il s'agit
d'un ferry à coque métallique dont la prime jeunesse est bien loin. Il est
plein de charme et apparemment parfaitement entretenu. D'ailleurs, la peinture
fraîchement apposée sur les couches antérieures forme une gangue sur tous les
éléments métalliques : on dirait presque des concrétions ! Il
m'évoque irrésistiblement les navettes qui traversent le Bosphore à Istanbul.
Il y a peu de monde sur le pont que des toiles tendues ombragent avec bonheur
car la température a atteint aujourd'hui encore des sommets ! Les
passagers sont essentiellement composés de touristes dont quelques Italiens
dont la vulgarité de comportement (et de tenue) ne peut laisser de doute sur
leur nationalité (une Italienne passera presque tout le voyage à tripoter les
bourrelets de son copain en maillot de bain sous les regards médusés de la
majorité de l'assistance !). Plus d'une heure de navigation à travers les
îles nous amène jusqu'à notre destination après une courte escale. Dvrenik est une assez grande île, d'ailleurs le port qui
nous accueille est constitué d'une cinquantaine de maisons. Les bâtiments
anciens sont bien sûr construits dans le fameux calcaire blanc, hélas les
bâtiments plus récents en béton dénaturent un peu le lieu. Tous les bâtiments
sont construits autour d’une baie qui forme un port idéal. L'ensemble respire
le calme et la volupté insulaires !
Nous nous étonnons
de la présence de quelques voitures dans un si petit endroit. Il faut dire
qu'il s'agit essentiellement de vieux modèles qui ont sûrement eu une vie
agitée avant de finir leur existence sur les quelques kilomètres de route de
l'île !
Nous avalons un rapide petit déjeuner qu'une
polémique lancée par Annie sur les saucisses allemandes anime jusqu'au dessert.
Elle est pourtant bien bonne cette Knackwurst farcie
au fromage ! Le repas est suivi d'une dégustation de café et de cappucinos pour certains au sommet d'une terrasse surplombant
le port. Nous décidons de traverser l'île à pied pour nous rendre sur la rive
opposée afin de nous baigner.
La traversée se fait sous une chaleur
harassante, la progression est réellement difficile bien que le paysage soit
superbe. Annie et Philippe renoncent à mi-chemin pour retourner vers le port.
Francine, Joachim et moi continuons à travers la lande. Nous finissons par
arriver dans une petite crique pleine de charme. Deux petites maisons de
pêcheurs nous rappellent que l'île est habitée. Nous nous
jetons à l'eau pour une longue séance d'apnée pour moi, un peu plus courte pour
Joachim et Francine qui a même fini par faire l'acquisition d'un masque et d'un
tuba.
Nous découvrons une belle flore (beaucoup de
posidonie) sous-marine mais hélas toujours peu de faune, si ce n'est quelques
étoiles de mer d'un rouge flamboyant. Il apparaît évidemment que le milieu de
l'après-midi n'est pas la meilleure période pour croiser plein de poissons,
surtout à cette profondeur. Toutefois, la pureté de l'eau est cristalline et
j'estime la visibilité sous l'eau à 10 m au moins !
Le temps passe vite et il est temps de
retourner au ferry ; nous empruntons le même chemin qu'à l'aller. Le ferry
lève l'ancre à 19 h, il a d'ailleurs attendu l'heure du retour dans le
port : il ne fait donc qu'une rotation dans la journée, la rentabilité
doit être difficile à atteindre surtout que le prix des billets est très
abordable. Nous partons à l'heure prévue, décidément la ponctualité est bien
ancrée dans la culture slave ! Nous faisons le chemin de retour dans la
relative fraîcheur du soir, accompagné, par un somptueux coucher de soleil qui
éclaire les îles de mille couleurs. Les Italiens s'offrent à nouveau en
spectacle, décidément il existe des valeurs sûres !
Nous abordons et, comme il était prévu, nous
nous dirigeons vers l'un des meilleurs restaurants de Trogir
en espérant que nos tenues et nos look (en particulier celui de Philippe qui
traîne éternellement avec lui un sac plastique plein qui traîne presque par
terre !) ne nous en interdiront pas l'entrée ! Pas de formalisme
excessif pour le maître d'hôtel qui nous demande toutefois de revenir dans une
heure à cause de l'affluence. Juste le temps de prendre une douche et de nous
changer pour correspondre un peu mieux aux critères de la clientèle !
Nous dégustons donc leur spécialité de
poissons, un risotto à l'encre de sèche pour moi ainsi que les vins blancs qui
sont la spécialité du pays. Puis c'est le retour pour la dernière nuit dans
notre pied-à-terre.
Mercredi – Une erreur bénéfique
C'est aujourd'hui le jour du départ de Trogir,
et de notre si agréable maison de villégiature. Pour éviter la canicule
toujours présente, nous avons décidé de lever le camp vers 17 h. Nous avons
donné rendez-vous à la mère de notre propriétaire à cette heure pour lui
remettre les clés et nous acquitter du prix de la location. La majeure partie
de la journée est consacrée au nettoyage et au rangement de ce qui a été notre
lieu de vie pendant une semaine. Et il y a du travail, chacun a largement pris
ses aises et a profité de l'espace qui nous manque temps quand nous sommes
itinérants. Chacun se lance donc dans l'entreprise et les lessives se
succèdent, l'aspirateur est poussé dans ses derniers retranchements, et la
vaisselle est durement malmenée.
Le repas de midi est composé de nos restes de
courses. Une copieuse polenta en constitue l'essentiel, chacun l'agrémente
comme il peut, qui avec du fromage, qui avec du yaourt, dans la bonne humeur.
Et il en faut pour trouver des qualités gustatives à ce plat ! Finalement,
bagages bouclés, motos chargées, nous sommes prêts à partir après avoir enfilé
nos cuirs et nos blousons coqués : ce qui est une dure épreuve par cette
chaleur !
Les formalités de paiement sont vite terminées
ainsi que les remerciements. Nous prenons enfin la route vers Rijeka, en
passant par la route de Sibenik, ce qui nous permet
un dernier coup d'œil sur le somptueuse baie de Split. Puis, après avoir
dépassé Sibenik, c'est la route de la côte et ses
dizaines d'îles que nous longeons jusqu'à Zadar. C'est à la hauteur de Zadar
que nous croiserons tout d'abord un car fou qui n'hésite pas à doubler des
voitures sur une route sans visibilité au mépris de la vie d'un pauvre
automobile polonais qui ne devra son salut qu'à une manœuvre désespérée. Ouf, c'est pas passé loin ! Mais plus question de rester derrière
cet inconscient, nous le doublons d'un coup
d'accélérateur pour nous apercevoir que le conducteur de ce car ne doit pas
avoir plus de 25 ans ! Puis à Zadar notre groupe est doublé par un scooter
lancé à plus de 90 km/h dans une montée pleine de courbes ! L'angle et les
louvoiements de l'engin qui est occupé par deux adolescents évidemment en
t-shirt, sandales, et sans casque, nous laisse bouche bée. Personne n'osera
relever le défi de peur de les voir prendre encore plus de risques et que tout
se finisse mal. Nous avalons donc l'humiliation et passons notre chemin !
En traversant la ville, nous remarquons qu'elle a aussi beaucoup souffert de la
guerre. De nombreuses maisons ont été bombardées par l'aviation serbe, des
façades ont été copieusement mitraillées. Nous verrons même au loin un hameau
complètement rasé... Décidément, il est difficile d'oublier cette guerre.
Passé Zadar, il s'agit de ne pas nous
tromper : la côte forme une longue presqu'île en cul-de-sac. Il nous faut
trouver le pont qui permet de passer le bras de mer qui nous sépare de la route
de Rijeka. Je roule prudemment et jette de fréquents coups d'œil à la carte
fixée sur ma sacoche de réservoir ! Hélas, malgré toutes ces précautions, nous
nous engageons sur la mauvaise route ! Malgré mes appels de phares et mes
tentatives d'arrêt, mes collègues tout à leur enthousiasme foncent dans la voie
sans issue et ignorent mes avertissements ! Je m'arrête même sur le bord de la
route mais ils passent leur chemin en m'ignorant superbement : je reconnais
bien la solidarité motarde, et si ma moto était en train de prendre feu ! j'ai bien peur qu'elle brûlerait tranquillement pendant
qu'ils continueraient leur route !
Enfin, ils finissent par s'arrêter ! Il est au
moins nécessaire de vérifier que nous pouvons prendre un bac quelque part pour
rejoindre la côte. Effectivement, un bac fait la navette au bout de l'île, nous
décidons donc de continuer dans cette direction... Notre erreur de parcours
nous révèle un paysage comme nous n'en avons pas vu encore et qui méritera de
nombreuses pauses photos. Le paysage est hors du monde, le calcaire blanc,
l'absence de végétation le rend lunaire, nous sommes tous subjugués.
Finalement, nous nous félicitons de nous être égarés !
Nous rejoignons la ville de Pag
pour trouver un restaurant. Pour ce faire, nous longeons des kilomètres de
marais salants. Notre entrée en moto fait sensation dans cette petite ville !
Le repas est excellent, sûrement un des meilleurs de notre séjour et ce pour un
prix bien plus raisonnable qu'hier ! Mais il est 11 h, nous devons partir à la
recherche d'un camping car il n'est hélas plus possible de bivouaquer comme
nous l'avions évoqué auparavant. Décidément, je n'ai pas de chance. Je trouve
personnellement que le bivouac est l'aboutissement de la liberté que procure la
moto : quoi de plus agréable que d'arrêter sa moto où l'on se sent bien, loin
de toute présence humaine dans un paysage superbe !
Pour le moment, nous sommes plutôt devant un
camping trois étoiles très fréquenté... Notre arrivée
tardive nous fait renoncer à planter la tente, sauf à Annie et Philippe... Tout
cela ressemble aux inconvénients d'un bivouac... hélas sans ses avantages.
Le sommeil nous gagne vite après cette longue
journée.
Jeudi – Trois pays en une journée
Réveil à l'aube pour les aventuriers qui n'ont pas de toit
au-dessus de leur tête : difficile de faire la grasse matinée quand le
soleil se lève à 5 heures du matin ! Francine est partie très tôt pour
faire des photos de l'île dans la lumière du lever du jour. Je visite le
camping pendant que mes camarades sont encore endormis. Il descend doucement
vers la mer et je savoure le calme et le paysage en prenant mes notes
quotidiennes face à l'horizon. Je pars acheter de quoi déjeuner, ce qui me
permet de faire une découverte : des croissants au goût
champagne !
Avouons-le, c'est mauvais et tout le monde
partage cet avis après avoir goûté. Il est temps de partir : nous devons
rejoindre Venise avant la tombée du jour !
Nous passons payer le camping : le prix est
astronomique, surtout au vu de notre séjour ! Arrivés à minuit, repartis à 8 h,
nous n'avons même pas planté la tente ! Bien sûr, c'est de notre faute si nous
n'avons pas profité de l'aquagym et de la boîte de nuit qui a fermé ses portes
juste après notre arrivée ! Enfin, c'est quand même dur à avaler...
Bon, le ferry nous attend et la route qui nous
en sépare nous subjugue. Le caractère lunaire du paysage s'accentue et nous
n'avons plus l'impression de rouler sur notre bonne vieille planète. Cailloux
aveuglants, aucune végétation, la mer et la côte pour horizon : Dieu que nous
sommes heureux de nous être fourvoyés hier ! Nous arrivons à l'extrémité de
l'île de Pag où un ferry flambant neuf nous attend.
Nous embarquons, la traversée ne dure hélas qu'une dizaine de minutes...
Nous rejoignons le
route de la côte et partons pour Rijeka. Cette partie de la côte est sans
conteste la plus belle que nous ayons longée jusqu'à maintenant. La route à
flanc de montagne prend souvent de l'altitude, nous offrant des panoramas qui
nous font souvent oublier le pilotage ! La côte très belle jusqu'ici est
maintenant à couper le souffle. L'archipel est bien là sous nos yeux, poussière
de terre semée dans l'eau turquoise... Je crois que même la Corse n'est pas
aussi belle, ni même la côte basque espagnole que j'ai pourtant tant aimée...
Notre progression est lente et fatigante : la
circulation est dense, la chaleur étouffante.
Nous nous arrêtons
dans une petite ville balnéaire pour nous restaurer, ce sera notre dernière
halte en Croatie. Le repas est si copieux qu'il pèsera lourd sur nos estomacs
pendant tout l'après-midi : et me fera jurer de me mettre à la diète le soir
même !
Les frontières croato-slovéne
et slovéno-italienne sont passées sans aucun
problème. Ce qui n'est pas le cas pour les automobilistes dans l'autre sens où
l'attente doit facilement dépasser une heure. Nous nous
félicitons d’être passés au nord de la Slovénie à l'aller !
Lors de l'entrée en Italie, nous essayons de
prendre la nationale pour quelques kilomètres. Mal nous en prend : comme nous
l'avons constaté l'année dernière, il est littéralement impossible de circuler
sur les routes nationales italiennes. D'autant plus que la pluie qui nous suit
depuis l'entrée en Slovénie rend l'exercice encore plus dangereux. Nous prenons
donc l'autoroute. Il s'avère tellement chargé que nous sommes parfois
complètement arrêtés !
Nous approchons de Mestre et je suis chargé de
retrouver le camping le plus honnête dans lequel nous nous étions arrêtés
l'année dernière. Le stress monte, les directions changent sans arrêt et ne
sont pas répétées. Je manque l'embranchement que je cherchais depuis un moment
mais heureusement le prochain nous mène au même endroit ! Mes souvenirs nous
guident directement vers le camping : je ne suis pas peu fier de
l'exploit ! Nous arrivons au camping, il y a beaucoup de monde mais il est
agréable. Très ombragé, les occupants sont calmes et en général ne restent
qu'un ou deux jours, le temps de la visite de Venise. Nous plantons la tente et
je m'endors dans l'attente d'une nouvelle visite de la Serenissima.
Vendredi – Venise la
Sérénissime
Cette journée a décidément un parfum de fin de
voyage : l'ambiance est morose au réveil. D'autant plus que deux mômes
dans une tente voisine nous ont mené la vie dure jusqu'à une heure tardive.
Joachim qui avait planté sa tente juste à côté a particulièrement
souffert : il est même allé jusqu'à menacer de se lever dans la nuit. Les
gamins sans doute surexcités par la nouveauté de coucher sous la tente ont
harcelé leurs parents et tout le voisinage par la même occasion. Nous déjeunons
cette fois avec de vrais croissants !
La solution que nous avons retenue est
d'acheter un ticket de transport en commun à la journée, qui nous permet à la
fois de prendre le bus mais aussi les vaporettos sans
limitation pour 24 heures. Nous avions expérimenté cette solution l'année
dernière et c'est la plus avantageuse, d'autant qu'il y a un arrêt de bus juste
à la sortie du camping. Pas de soucis en perspective pour garer et attacher les
motos, de plus nous pouvons nous déguiser en parfait touristes : short,
t-shirt, sac à dos et bien sûr sac plastique pour Philippe !
Nous voilà donc sur la grande place terminus
du car, nous nous dirigeons vers l'embarcadère de vaporettos.
Après un cafouillage mémorable, nous finissons par trouver le vaporetto qui
nous mènera à la place Saint-Marc par le Grande Canale.
Il faut dire que leurs plans de circulation sont particulièrement
incompréhensibles !
Nous sommes donc installés à l'avant d'un de
leurs bateaux de circulation, pour admirer ce qui est sans doute une des plus
belles ville du monde. On peut dire ce que l'on veut,
parler de Venise du Nord pour Amsterdam, de la Venise de la Provence pour
Pernes-les-Fontaines, rien ne ressemble à cette lagune habitée. Couverte de
palais construits sur des millions de troncs plantés dans la vase, cette ville
est une splendeur. De plus, non contente d'être un musée à ciel ouvert, c'est
une ville vivante qui fourmille d'activités. Partout des bateaux chargés de
marchandises, des barges qui portent des grues, mille embarcations sillonnent
les canaux. Taxis, gondoles, somptueux canots en bois vernis : le
spectacle est partout. Et lorsque les yeux quittent l'eau, ils ne rencontrent
que palais, églises, maisons bourgeoises rivalisant de beauté et d'originalité.
Vraiment cette ville n'a pas d'égale !
La traversée jusqu'à la place Saint-Marc dure
une demi-heure mais elle nous a semblé trop courte et les appareils photo ont
été chauffés à blanc !
La fameuse place est noyée de monde, pas
question d'être agoraphobe ici ! Nous savons par l'expérience de l'année
dernière que, si nous quittons les artères les plus connues qui mènent au pont
des Soupirs ou au Rialto, nous trouverons des rues plus tranquilles arpentées
par les seuls habitants de la ville. Nous nous
éloignons donc dans le dédale des ruelles coupées par de minuscules canaux afin
de trouver un endroit pour nous restaurer. Nous atterrissons dans un
minuscule snack où notre groupe a presque du mal à trouver de la place pour
tout le monde. Le décor est très réussi, mariant bois vernis et cuivre, il
dégage une ambiance chaleureuse. Nous déjeunons de sandwichs italiens pas
mauvais du tout.
Nous avons décidé de nous séparer pour
l'après-midi, afin que chacun puisse faire le choix de son activité dans la
ville. Personnellement, j'avais été très frustré l'année dernière de ne pouvoir
visiter le Guggenheim muséum. J'avais été si impressionné par mes visites de
New York et de Bilbao que je m'étais juré de visiter tous les Guggenheim. Si
celui de Venise est ouvert cette année, il me manquera celui de Berlin et de
Las Vegas (enfin il y a bien peu de chances que je décide d'aller à Las
Vegas : cette ville me répugne).
Heureusement, la Peggy Guggenheim collection est ouverte.
Cette collection d'art contemporain a été
rassemblée par la nièce de Salomon Guggenheim ; elle a été conseillée par
Marcel Duchamp et Max Ernst qui a été son mari. A sa mort, en 1980, elle a tout
légué (bâtiment et collection) à la fameuse fondation. Le musée est installé
dans un ancien palais vénitien du XVIIIe siècle qui en fait n'a
jamais été terminé, ce qui explique son architecture si particulière (c'est un
grand parallélépipède intégralement construit de plain-pied). D'ailleurs, sa
propriétaire y a vécu presque toute sa vie. Nous commençons donc la visite. Dès
la première salle, c'est un choc : elle présente deux œuvres de Picasso
datant de l'époque de ses recherches sur la déformation des corps et dont
l'aboutissement à mon avis est le tableau intitulé Le Baiser. L’une d'elles est
d'ailleurs très proche de ce dernier mais traité en bichromie blanche et bleue.
Le reste de la visite est à l'avenant : Kandinsky, Max Ernst, Braque,
César, Duchamp, Klee, Léger, Dali... Tous sont présents, la collection est
exceptionnelle ! Parfois, elle rassemble les tableaux par école, comme la
salle cubiste qui permet de noter les subtiles différences entre Picasso et ses
contemporains. Parfois, elle rassemble les œuvres d'un seul artiste : Max
Ernst est bien sûr très présent, et l'inspiration de certains de ses tableaux
est vénitienne de toute évidence ! Nous serons également très
impressionnés par une sculpture de Calder. Vraiment, il va falloir aller à
Berlin !
Nous quittons le musée
vraiment impressionnés... Nous avons décidé de visiter l'île de Murano
et ses fameuses manufactures de verre. Il nous est bien difficile de trouver un
bateau qui s'y rend, nous avons toujours autant de mal à déterminer si le
bateau dessert notre destination. Après un changement sur l'île du Lido, nous
nous dirigeons bien vers Murano. Le bateau passe devant le cimetière de Venise,
un bien étrange cimetière : entouré de hauts murs, il est planté seul au
milieu de la lagune.
Nous abordons Murano et partons à sa
découverte. C'est une Venise miniature, bien plus calme : elle en a
presque plus de charme. Ici c'est un véritable plaisir que de déambuler
lentement en découvrant dans les vitrines l'artisanat des verriers. Nous parvenons
à l'extrémité de l'île : c'est un quartier résidentiel où, luxe inouï,
nous découvrons des jardins !
Mais il est temps de rentrer non sans que Francine ait fait
quelques emplettes chez un verrier.
Nous nous
retrouvons, à l'heure, au lieu de rendez-vous après une nouvelle traversée de
Venise mais cette fois par l'extérieur et prenons le bus vers notre camping. Ce
soir c'est notre dernier repas ensemble puisque Joachim doit rejoindre la
Suisse demain...
L'ambiance n'est pas très joyeuse, difficile
de se dire que la fin du voyage est là et que demain chacun reprendra sa
route... Il nous faut pourtant nous coucher tôt car demain une grosse étape
nous attend et pour certains elle sera même très longue.
Samedi – Une longue, très longue étape
Nous avons planifié de rentrer sur deux jours, Joachim
rentre à Zug dans la journée. Nos chemins doivent se
séparer à quelques kilomètres de Venise. Nous partageons donc notre dernier
petit déjeuner ensemble et prenons la route. Les pleins faits dans une
station-service toute proche sont le prétexte à une dernière séance photos et à
nos adieux à Joachim. Direction l'autoroute pour une nouvelle traversée de
l'Italie.
La monotonie de notre parcours ne sera brisée
que par une petite séance de recherche de direction dans l'enchevêtrement des
périphériques de Turin ! Enfin, nous avons décidé de rejoindre Briançon
par le col de Sestrière. Et comme cette direction
n'est rappelée qu'une fois sur deux dans le meilleur des cas, il faut être
particulièrement vigilant pour ne pas prendre une mauvaise direction !
Heureusement, aucune erreur n'est commise et
nous voici sur la bonne route. Arrêt repas avant d'attaquer les routes du col.
Nous avons cette fois traversé l'Italie en un temps record ! Et il nous
reste beaucoup de temps pour rejoindre Briançon, but de notre étape. La montée
au col va être un défouloir pour Philippe et moi. Il a pris la Ducati et est rapidement passé devant, je tente de le
suivre difficilement : la BMW louvoie parfois de manière inquiétante du
fait de son chargement mais aussi de l'état de la route qui semble s'être
littéralement affaissée à certains endroits. Mais quel plaisir que ces virages
après les longues lignes droites de l'autoroute ! Ils ne sont gâchés que
par quelques inconscients en super-sportive qui nous
passent dans les courbes genou à terre au mépris de toutes les règles de
sécurité. Et à la descente sur Briançon, un de ces imbéciles qui a exagérément
élargi son virage, sans doute à cause de sa vitesse excessive, manque de
percuter Phillipe qui ne doit son salut qu'à une
manœuvre de dernière minute.
A ce rythme, Briançon est vite atteinte, et
cela va nous permettre de passer chez le concessionnaire moto à qui Francine a
confié son casque en dépôt-vente. Hélas, il n'a pas été vendu et nous le récupérons
pour le descendre à Montpellier. Montpellier justement, c'est à ça que je
pense : étant donné l'heure, je pense qu'il nous serait facile de
rejoindre la ville aujourd'hui même. Cela présente plusieurs avantages :
nous aurons tout dimanche pour récupérer avant de reprendre le travail, et nous
ferons des économies de camping et de restaurant. J'en parle à mes
camarades : Philippe et Annie sont trop fatigués et préfèrent s'arrêter
ici pour reprendre demain, Francine elle est prête à essayer à la condition
que, si la fatigue la gagne, nous ne nous acharnions pas à atteindre
l'objectif. C'est d'accord !
Nous quittons donc Annie et Philippe qui se dirigent vers
le camping et prenons la route. Je laisse Francine devant afin qu'elle imprime
le rythme. Il n'est pas mauvais et ne ralentira qu'à la nuit tombée. A 10 h,
nous sommes à Orange et hélas je décide, alors que j'ai repris la tête de la
progression, de suivre les panneaux qui nous indiquent l'autoroute. Mal m'en
prend ! En fait nous allons remonter au nord sur au moins 20 km et Dieu
sait que nous n'avons pas besoin de cela pour le moment. La fatigue commence à
nous faire durement souffrir et les derniers kilomètres sur l'autoroute sont un
martyre... Minuit, nous voilà arrivés morts de fatigue mais fiers d'avoir
vaincu une étape de 900 km. Mais quel choc de partir de Venise le matin pour se
trouver à Montpellier le soir !
Voilà le voyage est fini. L'heure du bilan est
arrivée. Et il est quant à moi 150 % positif. Nous avons passé 15 jours
extraordinaires au sens étymologique du terme. Les pays que nous avons
traversés étaient magnifiques, nous avons fait des expériences que nous
n'oublierons jamais en découvrant les traces persistantes d'une guerre civile.
Notre groupe s'est très bien entendu et les moments de friction ont été très
rares et ont toujours été parfaitement gérés !
Bref, moi je repars où vous voulez avec vous ! Donc
à bientôt pour de nouvelles aventures !