Nous avions fait un voyage en Slovénie, l'année dernière : 2 500 km à travers l'Italie et la Slovénie en moto Guzzi 850 T3. La partie slovène du voyage, en particulier la quiétude et la beauté des paysages, m'a fait tomber amoureux de ce pays. La vallée de la Socca et les Alpes juliennes resteront pour moi parmi mes plus beaux souvenirs de voyage, tant à cause des paysages que de la gentillesse des gens.

Je m'étais juré de retourner dans cette ex-Yougoslavie que la guerre avait déchirée et qui est fuie par les touristes (ce qui n'est pas la moindre des qualités d'un voyage dans ces contrées bien que les habitants ne partagent sûrement pas mon avis !). Bref j'ai passé l'année précédente à attendre avec impatience la possibilité d'y retourner. Connaissant la Slovénie, je me suis fixé comme objectif la Croatie et éventuellement la Bosnie, si la situation politique le permettait. Je pensais y retourner seul s'il le fallait !

Au cours d'un week-end dans les Cévennes, je parlais une fois de plus de mon projet, en présence des amis qui m'entouraient à cette occasion : Francine et Joachim se sont déclarés intéressés par le projet. Et nous avons commencé à organiser ce périple ensemble. Mais le groupe devait encore s'agrandir ! Lors d'une rituelle rencontre motarde au Mistral (bar bien connu des guzzistes montpelliérains) je discutais de mon projet qui suscita l'intérêt de quatre personnes supplémentaires : à savoir Annie et Philippe ainsi que Isabelle et Jean-Michel. Hélas, rapidement, il s'avéra que seuls Annie et Philippe pourraient nous suivre dans ce voyage. Enfin, Christian avec qui j'avais fait un excellent trek dans l'Atlas marocain était également intéressé par l'aventure. Il s'avéra la veille du départ qu'il renonçait pour cause de projet immobilier : une excuse que personne d'autre que lui ne pouvait inventer ! (Nous avons tous soupçonné surtout un manque de confiance dans la fiabilité de sa moto italienne !) Bref, le groupe définitif était constitué de Francine et sa Honda CB500, Annie et sa Ducati 750 Mostro, Philippe et sa Honda 650 Revere, Joachim notre Allemand de service en Kawasaki ZRX1200 et de moi-même qui, devant les performances et la fiabilité du parc moto représenté, ai lâchement renoncé à utiliser ma moto Guzzi 850 T3 pour lui préférer ma BMW K75, que j’ai pensé plus à même de suivre cette horde de motos japonaises et italiennes aux performances bien au-delà de la Guzzi.

 

Le programme approximatif était d'atteindre la frontière slovène au deuxième jour après une traversée de l'Italie par l'autoroute (l'expérience vécue de plusieurs participants quant aux routes nationales italiennes et leur anarchie nous faisant préférer cette solution qui il est vrai a quelque peu pesé dans ma décision d'utiliser la BMW). Rendez-vous donné à Joachim à Gorizia, en Italie, où il doit nous rejoindre depuis la Suisse. Visite prévue de Zagreb puis descente à Trogir (près de Split) où, grâce à Joachim, nous aurons la possibilité de louer la maison d'un de ses collègues d'origine croate. Nous devons y rester une semaine et cela doit être notre point de départ pour visiter la région (passer en Bosnie, j'y tiens particulièrement, et éventuellement descendre à Dubrovnik bien que cela rallonge quelque peu notre périple). Puis retour en passant par Venise, nous devons consacrer une journée à cette ville, et enfin retour après 15 jours à Montpellier après une nouvelle traversée de l'Italie par l'autoroute.

Nous prévoyons donc du matériel de camping, une grande partie de notre voyage devant s'effectuer de manière itinérante. La veille du départ est bien sûr consacrée à la préparation des affaires et à la révision des motos. Le pneu arrière de la BMW est changé quelques jours avant le départ ainsi que tous les fluides (huile, liquide de refroidissement) ; ce n'est pas du luxe car la K75 a effectué plus de 10 000 km depuis son achat en juin 2002 !

Hélas, catastrophe : à 4 jours du départ, ma carte bleue a été piratée et 1 400 euros de retrait ont été effectué à mon insu en Espagne (le piratage de mon numéro a sans doute eu lieu le weeek-end précédent lors de mon voyage à Barcelone, à l'occasion de la soutenance de thèse de mon amie Laura !). Je me retrouve donc avec un compte à sec et plus de carte internationale de paiement ! Il n'y a qu'à moi que des choses pareilles arrivent !

Il me faudra moult appels téléphoniques et de belles crises de nerfs au vu des erreurs commises par le service des cartes bleues (opposition non effectuée, puis opposition sur ma nouvelle carte, enfin non-renouvellement de la troisième carte !) pour arriver à la situation suivante à mon départ : 500 euros que je retire en totalité sur mon compte et aucun moyen international de paiement ! Heureusement, que je ne pars pas seul...

Bref, le vendredi soir, la moto lourdement chargée, le plein est fait : je pars pour passer la nuit à Montpellier afin d'être à l'heure au RV fixé à 7 h du matin. La nuit est longue, l'excitation de l'attente depuis un an de ce départ ne m'aide pas à m'endormir. Je crois qu'il en est de même pour Francine.

 

 

Samedi – On the road again !

 

Réveil matinal mais combien il est doux de se lever aux aurores avec la perspective d'un voyage de 1 500 km ! Enfin un voyage en moto parce qu'en voiture je n'ose même pas imaginer la torture !

J'ai choisi de rouler équipé de mon pantalon de cuir, d'un tee-shirt ajusté afin qu'il ne flotte pas au vent et de mon blouson d'été renforcé. Je serai chaussé de bonnes chaussures de randonnée qui permettent à la fois de rouler à moto en toute sécurité et de marcher confortablement lorsque le besoin s'en fait sentir. J'ai opté pour un casque Jet à longue visière après bien des hésitations. Je sais que ce n'est pas raisonnable, surtout si je me souviens de ma précédente chute à 120 km/h, mais j'ai décidé de privilégier le confort à la sécurité pour cette fois. Je suis le seul à adopter cette solution. Tout le monde est équipé de casques intégraux... Question vêtements, tout le monde a opté pour du matériel lourd et les 35 degrés prévus pour la journée risquent de bien nous faire souffrir ! Nous nous rendons chez Annie et Philippe, lieu du rendez-vous. Les motos sont bien dans la cour mais les pilotes ne sont pas encore prêts ! Ils se dépêchent et nous partons enfin pour nous arrêter à... l'entrée de Montpellier où Annie et Philippe font le plein de leur moto, tout en avouant que cela n'est pas très fair play ! Le retard n'est que de 30 minutes, c'est plutôt un bon score pour un départ de quatre personnes. Je me promets de retenir que donner rendez-vous chez les gens n'est pas une bonne idée !

Direction autoroute jusqu'à Orange, soit 100 km avalés à bon rythme, la progression du groupe est soudée et je pense que nous n'aurons pas de problème pour progresser en groupe, tout le monde étant très discipliné !

Nous sortons de l'autoroute pour une première pause. Au péage deux gros 4x4 attendent, nous allons vite savoir quoi. Pendant cette pause, j'avoue que mon casque est très bruyant sur l'autoroute et à cette allure la traversée de l'Italie promet d'être épuisante. Mais Philippe a la solution (durant tout notre périple nous profiterons de son expérience de la moto en partie acquise lors des années qu'il a passées comme mécanicien sur les circuits de course) : il extrait une paire de bouchons d'oreille d'un sac qui doit en contenir une vingtaine ! Mais voilà ce qu'attendaient les 4x4: une belle Harley sapin de Noël immatriculée dans les Bouches-du-Rhône... en descend, un bedonnant notaire cinquantenaire, dégarni, portant beau jean neuf et blouson de cuir immaculé ! il est immédiatement rejoint par un bel exemplaire de pouf à Harley surbronzée aux séances d'UV et bien sûr portant un jean trois tailles trop petit. Il s'avère que le spécimen a été amené au rendez-vous par son père (si si !), propriétaire d'un beau 4x4 V6 coréen ! Tout ce beau monde, chaussé de petit Jet, pas de gants, démarre dans un bruit d'enfer... tout cela sans un regard vers nous.

Nous démarrons aussi et passons bien vite le couple que nous ne voulons pas « subir » lors de la traversée d'Orange. Je prends la tête du groupe car je connais bien la route jusqu'à Briançon pour l'avoir pratiquée souvent, en particulier lorsque nous étions invités chez Marion près du fort de Mont-Dauphin. Pas de problème de progression si ce n'est que le casque de Francine lui fait atrocement mal au bout d'une heure. Ce phénomène n'est pas nouveau et il nous avait déjà gêné lors d'un périple en Andorre et Catalogne. Arrivés près de Nyons, nous avons progressé vite et nous somme en avance sur notre programme de la journée. Je sais qu'il existe un musée de la moto dans cette ville pour avoir déjà essayé deux fois de le visiter et nous décidons de faire une tentative de visite. Ce sera un troisième échec et je me promets de ne jamais remettre les pieds dans ce musée. En fait, nous aurons l'explication de la difficulté à entrer dans ce lieu de culture motocycliste : il appartient à des Belges qui l'ouvrent sur rendez-vous et comme ils ne sont pas souvent là...

Arrêt déjeuner à Gap, où l'on gardera longtemps le souvenir des délicieuses crêpes chocolat, crème de marron chantilly mais aussi du 4x4 dont la décoration a été refaite à l'occasion d'un mariage avec balai guirlande et même casserole traînant par terre ! les motos sont garées bien loin de nous et non attachées mais le patron du restaurant nous a assurés de l'absence de criminalité dans la ville, ce qui s'avérera exact. La route est très chargée jusqu'à Briançon, c'est peu agréable et assez fatigant. Heureusement, nous arrivons tôt. Le problème de casque de Francine s'est aggravé et elle décide d'acheter un nouveau casque à la place de son Shoei haut de gamme et neuf... Nous courons donc les trois concessionnaires moto de Briançon. Hélas, peu de choix pour les casques intégraux, par contre les gens s'avèrent très gentils. Finalement, c'est chez un vendeur de quads qu'elle fait l'acquisition d'un intégral Airoh. C'est un modèle assez bon marché mais surtout il arbore un look « street fighter » du plus bel effet dans sa teinte titanium (pas gris, hein : titanium). Elle va faire peur aux enfants sur la route mais il semble plus confortable que le Shoei qui est laissé en dépôt- vente. Le patron du magasin s'avère être très sympa. Nous partons à la recherche d'un camping qui nous a été recommandé. Il est bien plein : dans deux jours, le tour de France doit passer par là et les cyclistes amateurs français et italiens ont envahi la place. Nous trouvons finalement un minuscule emplacement que nous devrons partager avec deux motards hollandais descendus de leur pays natal avec une R100 RS et une R 100 RT. A côté de nous, un bel exemple de couple de beaufs en caravane qui, dès notre arrivée, se plaindra de la gêne engendrée par le passage des motos devant son petit univers peuplé de la femme, du môme qui couche dans une minuscule tente à distance de ses parents (comme on le comprend) et, cerise sur le gâteau, du chien Orphée, caniche nain ridicule. Bonne douche avant une bonnee nuit réparatrice.

 

 

 

Dimanche – L'Italie, ça se confirme cette année encore !

 

Lever matinal à 8 h : il faut dire que la journée s'annonce être celle qui sera la plus épuisante de notre périple, l'avenir prouvera pourtant que non ! Nous devons traverser l'Italie du Nord, de Briançon à Gorizia sur la frontière italo-slovène où nous devons retrouver Joachim. Nous nous sommes promis de nous envoyer des textos sur nos portables respectifs afin de suivre nos progressions vers le point de rendez-vous. J'ai cru comprendre que Joachim avait les mêmes réticences que moi vis-à-vis des Italiens. Cela a d'ailleurs donné lieu à une discussion animée hier soir, Annie et Francine trouvant les autochtones italiens plutôt sympathiques, inutile de dire que ce point de vue ne peut être que féminin.

 

Il a fait assez froid dans la nuit, Briançon est la plus haute ville d'Europe à près de 2 000 m, et dans un optimisme excessif certains d'entre nous ont négligé de sortir leur sac de couchage : je finirai la nuit dans mon blouson de moto et Philippe se lèvera dans la nuit pour sortir son sac des sacoches ! Les filles ont été plus prévoyantes. Le petit déjeuner est pris dans une température qui rend nos doigts gourds, une sensation oubliée depuis longtemps et bien inattendue après la canicule de la journée d'hier ! Nous quittons le camping aux aurores donc, non sans que le K75 qui était sur sa béquille latérale, et a donc rempli ses cylindres d'huile (défaut bien connu de la série K de BMW), ait copieusement enfumé notre cher voisin. Etrange comme la moto a si bien su nous venger de la mesquinerie humaine. C'est donc sous des regards haineux que nous reprenons notre route après quelques courses. Nous passons le col de Briançon sans problème particulier malgré une circulation dense et nous subissons quelque dépassement hasardeux de la part de plusieurs motards italiens dont un en Multistrada avec passagère. Le rodage de celle-là risque d'être bien massacré. Nous arrivons en vue du premier péage (mais pas du dernier, nous en croiserons une demi-douzaine au bas mot jusqu'à Gorizia !).

Rapidement on nous rappelle que nous sommes en Italie : alors que je paie un péage de 40 centimes d'euros avec un billet de 10 euros, le préposé au péage tente une minable escroquerie en me rendant la monnaie ! Je ne m'en suis pas aperçu tout de suite mais le « bonne route » lancé en italien lorsqu'il me tend la monnaie me met la puce à l'oreille. Je rejoins le groupe qui m'attend plus loin et recompte ma monnaie, il manque un euro ! Bienvenue en Italie ! Je retourne le voir, je suis furieux, il le comprend bien à mon regard noir, il me suffit de tendre le bras pour que l'euro manquant se retrouve au creux de ma main... Minable petit escroc ! Il reste encore 500 km d'autoroute, il ne nous faut pas traîner ! Nous croisons (enfin doublons car à 150 km/h les autres véhicules défilent dans nos rétroviseurs) beaucoup de Harley, dont un chapter complet d'un HOG local. Tous ces méchants rebelles sont sagement alignés sur deux files se traînant sur la voie centrale de l'autoroute au grand dam des automobilistes. Ils sont encadrés de près par le chef de groupe seul devant et personne ne dépasse ! Bel exemple d'esprit de liberté et de rébellion !

 

Nous nous arrêtons sur une aire d'autoroute pour déjeuner, le seul coin d'ombre se trouve entre les toilettes publiques et les poubelles de la station-service ! Pas le choix, la température doit allègrement dépasser les 35 degrés, nous avalons rapidement notre pique-nique. Non sans avoir visité les toilettes climatisées, véritable bonheur dans cet enfer chauffé à blanc. D'ailleurs, mon pantalon de cuir et mon blouson sont trempés de sueur, les parties sombres de mon casque peuvent à peine être touchées...

 

Nous continuons donc pour une étape sans arrêts de 220 km avalés en une heure, il est clair que l'on n’a pas traîné sur cette étape ! les réservoirs réclament leur ration de liquide, nous nous arrêtons donc et en profitons pour nous offrir quelques boissons fraîches. Alors que nous dégustons les liquides rafraîchissants, voilà un nouveau groupe de harleyistes qui arrive. Leur déguisement flambant neuf nous fait presque peur : surtout le t-shirt arborant le slogan « fuck the world » alors que son propriétaire descend d'une moto à plus de 100 000 francs... Décidément, comme dit le proverbe, « motard rime trop souvent avec connard ». Tout au spectacle des nouveaux arrivants, nous nous levons pour repartir... hélas j'oublie mes lunettes de soleil sur la table, le temps de m'en apercevoir et de retourner les récupérer, on me les a déjà volées ! Ceci a la vitesse de l'éclair car il c'est passé moins de deux minutes avant que je m'en aperçoive. C'est bien clair, nous sommes encore en Italie. Je suis obligé d'en racheter dans la station-service, impossible de rouler sans avec cette luminosité... Dans mon for intérieur, je prie pour quitter le plus rapidement ce pays. Nous n'avons heureusement plus besoin de faire de halte jusqu'à Gorizia. Nous atteignons le lieu de notre rendez-vous à 18 h, c'est ce que nous avions prévu. Nous nous rendons directement à la gare où nous retrouvons Joachim attablé devant « ein grosse Bier ». Les retrouvailles sont chaleureuses et nous sommes fiers de cet exploit de nous retrouver à 1 000 km de distance de nos points de départ à l'heure donnée ! Il est maintenant temps de passer la frontière pour nous trouver en Slovénie un lieu de couchage.

Quel plaisir de rouler à nouveau dans ce pays un an après l'avoir découvert. Etrange comme le paysage de Slovénie respire le calme et la volupté, la douceur verdoyante du paysage nous emplit l'âme de sérénité. Nous parcourons une vingtaine de kilomètres ; pas de camping en perspective. Alors que nous traversons une petite ville, Annie et Philippe, visiblement épuisés par notre journée, repèrent un hôtel, ils ne veulent pas faire un kilomètre de plus bien que nous soyons à une vingtaine de kilomètres d'une ville beaucoup plus touristique. Ils vont se renseigner sur le prix, il s'avère qu'il s'agit d'un hôtel luxueux et le prix des chambres est très élevé pour le pays. Je suis plutôt partisan d'un bivouac mais mes camarades semblent franchement opposés à cette idée ! Il faut dire que le vent s'est levé et il s'agit presque d'une tempête. Je finis par me ranger à leur idée. Nous prendrons deux chambres ; Joachim, Francine et moi en partagerons une tandis que Annie et Philippe occuperont l'autre. L'hôtel est sans charme mais de grand standing, il y a même la climatisation et la télévision satellite dans les chambres. Nous allons passer un long moment de rigolade devant une émission de télévision slovène qui retransmet un spectacle d'enfants imitant des patineurs artistiques ! Les décors construits sûrement par les parents, l'approximation de la chorégraphie et les chutes qui parsèment les numéros nous font rire aux éclats. Il est temps de nous rendre au restaurant de l'hôtel où nous sera servi un très copieux repas et nous rejoignons notre chambre pour un repos bien mérité. Je partage le lit avec Joachim, nos tailles respectives auraient rendu le séjour dans le canapé très inconfortable et heureusement Francine a la gentillesse de l'utiliser.

 

 

 

Dimanche – La Croatie enfin !

 

Réveil assez tardif et superbe petit déjeuner (compris dans le prix de la chambre !). Grosse rigolade du matin lorsque Joachim nous explique qu'il a appris à apprécier les saucisses au petit déjeuner pendant une randonnée ! Il faut dire que ce style d'humour ne nous quittera plus de tout notre périple ! Nous rechargeons les motos et reprenons la route, Joachim passe devant et je le suis de près. Il faut dire qu'il n'aime pas trop rouler derrière quelqu'un et lorsqu'il s'y astreindra, ça ne sera jamais pour très longtemps : d'une puissante et inattendue accélération sa ZRX de 140 chevaux nous laissera souvent littéralement sur place !

Bien que le parcours que nous avons repéré avant le départ nous semble évident, nous parvenons à nous tromper mais finissons par rattraper in extremis notre itinéraire à un croisement que le reste du groupe passera dans un bel élan d'optimisme.

Les charmes de la Slovénie séduisent tout le monde et progresser sur ses petites routes qui traversent forêts, champs et pâturages luxuriants est un vrai plaisir que nous savourons à sa pleine mesure après la longue étape d'autoroute d'hier. Les virages succèdent aux petits villages tous plus empreints de sérénité les uns que les autres. Nous nous arrêtons dans un Mercator (petit supermarché local), le choix est digne des meilleures chaînes occidentales !

 

Il faut dire que la Slovénie est un pays riche, le niveau de vie y est supérieur à celui de la Grèce et du Portugal, et elle est l’une des candidates les mieux placées pour élargir l’UE. D'autre part, elle a été la première à déclarer son indépendance en 1991, très vite reconnue comme Etat indépendant d'abord par l'Allemagne puis par la CEE, elle n'a connu que 10 jours de conflits avec l'armée yougoslave majoritairement serbe. Le pays a une forte identité depuis très longtemps et il était considéré comme la Suisse de la Yougoslavie ; la présence de peu de minorités, particulièrement serbe, lui ont évité les drames de la Croatie et de la Bosnie face à l'hégémonisme serbe. Par contre, tous les signes d'appartenance à l'ex-bloc de l'Est ont été méticuleusement effacés, et le cadre de vie, parc automobile compris, ressemble beaucoup à celui d'un pays européen.

Mais pour l'immédiat un problème se pose, nous n'avons pas changé d'argent local (le tollar ! ca ne s'invente pas). Heureusement une carte Visa internationale nous sauve une nouvelle fois. Nous pouvons donc partir à la recherche d'un lieu de pique-nique. Nous trouverons notre bonheur au bout d'un petit chemin de terre qui mène à la lisière d'un bois. Nous nous installons pour un déjeuner sur l'herbe (pas de rivière, hélas, comme dans celui de Monet !). Le repas est suivi d'une sieste réparatrice pendant laquelle Annie sera piquée par une tique, pas si accueillant ce petit champ !

La route nous attend et nous partons après avoir mis au point un itinéraire de petites routes pour rejoindre la frontière croate. Arrivés à une bifurcation, nous commençons à nous engager sur une piste forestière non goudronnée. Après quelque kilomètres, un panneau nous indique qu'il faudra sans doute suivre cette piste sur 20 km. Joachim, Francine et moi sommes prêts à tenter l'aventure bien qu'une dénivellation de 27 % soit indiquée quelques kilomètres plus loin. Hélas, Annie et Philippe, bien que leur moto soit plus légèrement chargée, ne veulent pas en entendre parler ! Décidément, ce voyage ne sera pas effectué sous le signe de l'aventure !

Disons à leur décharge que maîtriser une Ducati sur ce genre de terrain ne doit pas être facile. Tant pis, demi-tour, et nous repartons à la recherche de l'itinéraire goudronné.

 

Mal m'en prend au sortir de la lisière de la forêt, une guêpe heurte ma visière et est projetée dans le col de mon blouson. Sans doute dans un mouvement de défense, elle me pique à la base de la nuque. La douleur est fulgurante, et je manque de quitter la route. La moto cale et le groupe s'arrête, j'explique ce qui m'est arrivé et Philippe intervient avec un aspi- venin. Le soulagement est immédiat mais je conserverai une forte inflation à l'endroit de la piqûre pendant plusieurs jours.

Nous roulons maintenant dans une vallée couverte de vignobles. Elle est constituée de coteaux au sommet desquels se trouvent les habitations, aucun chemin d'accès n'est visible... Le particularisme de cette vallée mérite une séance de photographie. Mais bientôt voilà la frontière slovéno-croate. Le no man's land est désespérant de tristesse et de laideur mais nous passons les postes frontières sans problème et sans attente notable. Les motos attirent peu la convoitise des douaniers, il nous a fallu juste tendre nos passeports pour que d'un geste magnanime et hautain on nous fasse signe de passer... Décidément tous les douaniers du monde se ressemblent et assurément le sourire et la sympathie ne doivent pas faire partie des critères de recrutement.

Cette fois, nous sommes en Croatie, but de notre voyage ! Nous sommes bien contents que la partie la moins intéressante de notre voyage soit derrière nous, les découvertes vont pouvoir commencer. Nous changeons des euros contre des kunas croates et évitons le piège de nous engager sur l'autoroute qui s'ouvre juste devant nous. Grâce à une observation méticuleuse du terrain, nous découvrons une minuscule route rejoignant une nationale ; il est difficile de croire que les choses ne sont pas faites pour que le voyageur aille directement vers le péage !

Nous décidons de rejoindre la première ville afin de fêter notre entrée sur le territoire croate avant de rejoindre Zagreb, but de la journée, qui se trouve à quelques encablures de la frontière.

Dès les premiers kilomètres, nous pouvons nous rendre compte que la Croatie n'est pas la Slovénie. Le parc automobile est bien plus obsolète et les vieilles Yugos, Zastava et autres Lada restent ici très nombreuses. L'habitat est moins luxueux, et certaines maisons sont bien décrépites, la propreté ambiante n'est pas au mieux.

Mais le choc viendra surtout pour nous de voir les motards que nous croisons ne portant pas de casques, pourtant nos guides indiquent bien que le port du casque est obligatoire pour les deux-roues. Du cyclo Tomos aux grosses cylindrées sportives, tous sont tête nue. La situation frise parfois le ridicule lorsque nous croisons un adolescent en scooter portant des gants en plastique transparent ou ce propriétaire de grosse sportive japonaise arborant une splendide protection dorsale flambant neuve mais tête nue et sans gants ! 

D'après nos guides (le Routard et le Lonely Planet : quel luxe !), il n'existe qu'un seul camping dans la région de Zagreb : il est temps de le rejoindre. Nous suivons les indications des guides mais impossible de trouver trace de ce camping. Après avoir demandé notre chemin dans un bar croate en allemand (merci Joachim), il s'avère que le camping est situé sur une aire d'autoroute ! Joachim nous guidera de main de maître dans l'enchevêtrement des échangeurs d'autoroute. En fait, le camping s'avère très arboré et somme toute assez agréable. D'autre part, il n'y a pas foule et nous pouvons choisir notre emplacement. Les tentes sont plantées, et nous comprenons pourquoi le chargement de Joachim est si discret. Sa tente minuscule ne peut l'accueillir qu'en diagonale et il n'a pas de tapis de sol, ce qui lui prédit des nuits bien inconfortables ! A la guerre comme à la guerre (mais cette expression ne risque-t-elle pas de choquer un Allemand de souche) ! Nous prenons notre dîner dans le self-service de l'autoroute, le décor est sinistre, digne des anciens pays du bloc de l'Est. Heureusement, la serveuse s'avère charmante et souriante. L'assistance est constituée de Croates dont un spécimen que je n'aurais pas eu envie de croiser une baïonnette entre les dents il y a 10 ans : il mesure au bas mot 1,90 m et est doté d'une musculature impressionnante, rehaussée de tatouages peut avenants ! Nous finissons par aller nous coucher, bercés par le vombrissement des camions et les rondes de la police (pas de risque de vol ici) !

 

 

Lundi – Zagreb, une capitale de l'Est

 

 

Réveil tardif pour aujourd'hui et petit déjeuner préparé devant les tentes. Nous nous apprêtons pour la visite de Zagreb. Pour éviter les risque de nous perdre dans la ville, nous ne prenons que trois motos, le groupe étant plus compact il nous sera plus facile de nous suivre. D'après nos guides, la ville est constituée de la partie haute et ancienne et de la partie basse plus moderne. Nous décidons de nous rendre dans la veille ville pour commencer.

 

Nous l'atteignons facilement, la route qui y mène longe longuement une voie de tramway, impossible de nous tromper. Je sais que la ville a subi le bombardement de l'aviation serbe en 1991, je cherche des traces de destruction sur les bâtiments, en vain, tout a été reconstruit, la ville semble n'avoir jamais été l'objet de destructions, pourtant l'aviation a bien bombardé le centre, visant particulièrement le parlement indépendant et le palais du Pan (vice-roi) alors que Franjo Tudjman y résidait après avoir déclaré l'indépendance du pays. Enfin, nous constaterons que les toits de la vieille ville sont presque tous neufs et c'est le seul indice de combat que nous remarquerons. Mais pour l'instant nous nous garons au pied de la ville ancienne et montons sur la colline qui l'accueille. La ville n'a pas le clinquant de Ljubljana la capitale slovène, particulièrement dans la ville basse qui est en fait le cœur actif. Dans l'enceinte de la ville médiévale se trouve toutefois de fort beaux bâtiments du XVIe et XVIIe siècle. Le toit de la cathédrale médiévale est constitué de tuiles vernissées superbes aux couleurs du pays. Une église jésuite dont la sobriété extérieure cache un magnifique intérieur baroque constitue un deuxième lieu de visite. Il semble que l'on soit en présence de baroque primitif, il est vrai que la restauration est impressionnante de qualité, mais je suis peu fan de cette période et ne peux porter un jugement objectif : disons que le décor est chargé. Plus étrange, nous découvrons sous un porche un lieu de pèlerinage et de prière couvert d'ex-votos, visiblement toujours très prisé des Zagrébois. Il accueille de nombreux cierges face à une statue de vierge à l'enfant qui doit sûrement, selon la croyance populaire, avoir le don d'exaucer les vœux. D'ailleurs, des personnes sont en prière lorsque nous passons. Nous repérons également un musée de peinture naïve que nous nous promettons de visiter après le repas. Il est pris dans un restaurant de cuisine local de bon standing conseillé par nos guides. Les plats sont délicieux, l'ambiance est feutrée et plutôt huppée, nous ne cadrons pas vraiment avec nos tenues de moto et nos éclats de rire !

Retour donc au musée après avoir à nouveau visité le centre ancien qui s'avère décidément bien petit. Le musée est lui bien plus intéressant. Il rassemble des tableaux de l'école naïve croate du XXe siècle, cette école semble assez célèbre mais je crois que c'est une découverte pour tout le monde. La qualité des œuvres exposées est vraiment impressionnante. Je remarque particulièrement un tableau qui rappelle par sa composition et son thème un tableau de Bruegel, représentant un chasseur rentrant dans son village au milieu d'un paysage d'hiver (à mon retour, je pourrai vérifier effectivement la grande ressemblance de ces deux tableaux). Un christ en croix entouré d'une multitude de personnages, de scènes plus ou moins burlesques ne peut qu'évoquer Bosch.

Un portrait d'homme aux yeux bleus m'impressionne par la pureté des couleurs, de même un paysage de village peint de nuit et dont la profondeur du ciel laisse deviner quelques nuages (j'essaierai d'en acheter une copie en carte postale mais je renoncerai, le rendu des dégradés de couleur étant raté).

Plus étrange, un tableau est une composition sur le suicide collectif de Guyana dans les années 1970, le couple de singes représenté comme témoin du drame donne une atmosphère particulièrement bizarre.

Quelques tableaux de peintres naïfs français sont exposés, mais ils n'honorent pas la qualité de ce qui est exposé ! Décidément ce musée étonnant est bien intéressant !

Nous avons également décidé de visiter le cimetière de la ville, qui semble être un lieu de promenade privilégié pour les habitants de la ville, un peu comme le cimetière du Père-Lachaise peut l'être pour les Parisiens. Nous prenons le car pour nous y rendre.

 

L'extérieur est constitué d'une enceinte impressionnante qui n'est pas sans rappeler un mur de fortification moyenâgeuse. Enfin, c'est à l'intérieur de ce bâtiment que nous découvrons une superbe allée couverte qui accueille les familles patriciennes de la ville. Elle rivalise de faste et de luxe, statue, colonnade, marbre, rien n'est trop beau visiblement pour honorer les disparus ! Nous remarquons sur les caveaux nombre de noms d'origine germanique. L'occupation du pays par l'empire austro-hongrois a laissé des traces.

Nous découvrons aussi la tombe monumentale de Franjo Tudjman, elle est relativement sombre, toute en marbre noir, seules sa taille et la présence de nombreux cierges font penser qu'un homme important est enterré ici. Il faut dire que ce n'est pas n'importe qui, il a été le premier président de la toute jeune république croate, c'est lui qui a tenu tête à Milosevitch lors de la guerre. Mais ce n'est pas un démocrate, loin de là ! D'ailleurs, sous sa présidence, l'Europe n'a jamais voulu d'une candidature croate à l'agrandissement de la communauté. Il faudra attendre sa mort en 2000 et la victoire d'une coalition d'opposition à son parti pour que soient instaurés la liberté de la presse et un véritable régime démocratique. Il n'en demeure pas moins qu'il a mené son pays à l'indépendance et qu'il est célébré comme un héros dans son pays (un peu à la manière d'Atatürk en Turquie), et je pense que personne ne s'aviserait de plaisanter sur ce personnage en Croatie.

Il est temps de repartir et Joachim, Francine et moi décidons de rentrer à pied pendant qu'Annie et Philippe reprennent le car, rendez-vous est donné devant la cathédrale de la ville basse. C'est un bien agréable petit parcours à pied qui nous fait prendre connaissance de la vie quotidienne de la ville. J'aime particulièrement déambuler incognito dans une ville étrangère, ma fondre dans le quotidien des autochtones : hélas, les appareils photo de mes deux compagnons ne peuvent que révéler notre statut de touriste dans la ville.

 

Nous avons l'occasion de faire quelque pas dans la ville, où nous remarquons que, bien que nous soyons en début de semaine, l'ambiance n'est pas survoltée comme dans les autres capitales et que chacun prend le temps de vivre. Le charme des vieux tramways n'est pas étranger à ce sentiment, nous n'aurons hélas pas l'occasion de les utiliser. Nous faisons quelques courses dans un magasin Konsum que nous soupçonnons être les anciens magasins d'Etat lors de la période communiste. Ils sont en tout cas maintenant très bien achalandés.

Retour au camping où nous déjeunons dans la bonne humeur, et l'anecdote de l'éléphant prend des prolongements insoupçonnés où se mêlent des douaniers suisses.

La nuit est quelque peu dérangée par un hélicoptère qui tourne avec insistance au-dessus du camping, chacun dans son sac de couchage se demande si la guerre n'a pas repris !

Joachim aura également la joie de partager un feu de camp que des scouts arrivés dans la soirée ont décidé d'allumer à quelques mètres de sa tente. Il est de méchante humeur au réveil et nous compatissons tous !

 

 

Mardi – La guerre est là

 

Aujourd'hui, c'est le départ de Zagreb pour la visite du parc de Plitvice dont nous voyons partout des affiches vantant la beauté de ce parc naturel classé au patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco. Le réveil est matinal car nous devons rejoindre le camping qui se trouve à proximité et ensuite visiter le parc. Heureusement, peu de kilomètres nous séparent de notre futur lieu de visite.

Le camping se trouvant sur la voie d'autoroute qui va vers Plitvice, nous ne perdons pas de temps à chercher notre itinéraire : ça n'est pas si mal de dormir sur une aire d'autoroute !

Nous sortons de la belle autoroute flambant neuve dans la ville de Karlovac. En traversant la ville, nous sommes confrontés brutalement aux stigmates de la guerre. De nombreuses façades portent des traces de mitraillage, certains immeubles sont criblés de balles, certaines ayant traversé les volets. De nombreuses maisons ont été incendiées et leurs carcasses parsèment la route. Les toitures neuves ne peuvent plus se compter. A la sortie de la ville, nous passons près d’un ancien champ de bataille où sont exposés chars et véhicules blindés autour de ce qui a été un lieu de violents combats, les habitations ont été rasées et il reste des traces de bunkers. Certaines maisons portent le sigle des Nations unies, ce qui ne les a pas empêchées d'être la cible des belligérants. Autant dire que la traversée de cette petite ville nous impressionne, et l'atmosphère y est lugubre.

 

En fait, Karlovac est une petite ville industrielle très proche de la frontière bosniaque. Ces territoires ont été conquis par l'ex-armée yougoslave en 1991, lors de l'offensive contre la Croatie. Les Serbes les conserveront jusqu'en 1995, avec la contre-offensive croate qui leur permettra de reconquérir les territoires occupés. En 1995, les Serbes subiront une épuration ethnique de la part des Croates, d'ailleurs certains chefs de guerre croates ont été déclarés criminels de guerre par le tribunal de La Haye ; plusieurs ont déjà été emprisonnés, d'autres sont encore recherchés. Les nombreuses maisons brûlées sont sans aucun doute les traces de cette épuration.

Nous croisons des stigmates des combats sur toute la route qui nous mène au camping à l'entrée du parc. C'est un saisissant contraste que ces nombreuses voitures de touristes hongrois, autrichiens et allemands et ces villages défigurés par la guerre. Le paysage naturel est toutefois très beau, mortellement parfois, puisque nous découvrons au détour de certains virages des panneaux indiquant des zones minées.

C'est un lieu commun que de dénoncer la folie guerrière des hommes. C'est la première fois que je suis confronté aux traces d'une guerre pourtant terminée depuis huit ans, et je peux dire que cela glace le dos et fait peser une bien lourde atmosphère sur cette partie de notre périple. Je ne peux m'empêcher de penser aux récits de mes grands-parents me racontant la maison détruite par les bombardements et leur exode avec mes oncles et tantes. Je pense aussi à Julien mon grand-père paternel, qui a gagné une croix de guerre en défendant, contre l'invasion allemande (lors d'une drôle de guerre, comme on l'a appelée, mais qui ne le fut pas pour lui), une tranchée pleine de ses camarades tués sous ses yeux. Dieu que le visage de la guerre est laid. Et quelle stupidité que ces films hollywoodiens qui la glorifient et la magnifient...

Nous arrivons enfin au camping que nous recommandent fortement nos deux guides. Ils ont raison : immense, calme, arboré et plein de jolis recoins, il est magnifique. Nous jetons notre dévolu sur un creux bien abrité où nous plantons nos tentes. Rapide repas dans le restaurant du camping absolument désert et nous partons pour la visite du parc.

Le droit d'entrée pour la visite n'est pas donné : 80 kunas ! Mais le prospectus nous informe que le ticket donne le droit d'utiliser les bateaux et la navette permettant de visiter l'intégralité du parc. Je me suis renseigné, en fait le parcours complet fait 18 km et j'estime pouvoir faire le tour du parc en 3-4 heures à un bon rythme. Après tous ces kilomètres à moto, j'ai besoin d'exercice physique et ce parc est le lieu idéal pour me défouler un peu. D'autre part, partir seul m'évitera les arrêts photo qui ne manqueront pas de rythmer la balade du groupe.

Nous nous séparons donc à l'entrée du parc. Et je pars rapidement à la découverte de cette merveille naturelle comme le promet le ticket. J'avais décidé au départ de commencer par la grandiose chute d'eau de 80 m. Hélas, la horde de touristes qui eux ont décidé de finir leur visite par la chute me fait me retrouver dans le sens inverse de la majorité ! Et là, point de salut, après quelques minutes de bousculade où la loi du nombre prévaut, je finis par renoncer et pars dans le même sens que tout le monde ! Heureusement, dès que je passe le quai d'embarquement du train à touristes, je ne croise plus personne.

La découverte du parc commence donc pour moi. Il s'agit en fait de longer une trentaine de lacs qui se jettent les uns dans les autres. L'endroit est féerique, la couleur des eaux est hors du commun et changeante selon la taille, la profondeur et les algues qui s'y développent. Les bleus profonds succèdent à des verts émeraude, qui se fondent dans des eaux grises. C’est un camaïeu extraordinaire de couleurs. Le tout dans une belle forêt, littéralement luxuriante dans les endroits les moins fréquentés. Tous ces lacs sont reliés entre eux par des cascades de différentes hauteurs plus moussues les unes que les autres. En fait, le phénomène géologique des karsts, que nous connaissons bien ici à Montpellier, ajoute à la présence de nombreux cours d'eau qui crée ce spectaculaire phénomène. Je dois dire que je ne verrai pas passer le temps lors des mes quatre heures de marche ! D'autant plus qu'elle se termine par l'arrivée sur une chute d'une taille que je n'avais jamais vue auparavant. Je ne peux m'empêcher de penser combien il serait agréable de la descendre en rappel ! Il ne faut même pas y songer, il est même interdit de se tremper les pieds dans l'eau des lacs (interdiction qui ne gêne visiblement pas nos compatriotes, pourtant les panneaux représentent des idéogrammes compréhensibles de tous ; il paraît que certains même de notre groupe ont dédaigneusement ignoré l'équilibre de l'écosystème, mettant en danger son fragile écosystème !).

 

Une belle visite mais hélas trop de monde dans les parties les plus belles, la discipline et le respect du lieu laissant hélas à désirer.

Voilà la visite terminée et bizarrement je retrouve mes camarades à la sortie du parc ! Mais eux n'ont parcouru que la moitié du parc, qui plus est en abusant des bateaux électriques et autres trains sur pneumatiques : nous ne sommes décidément pas du même monde !

Nous rejoignons le camping, qui s'est bien rempli dans la journée. Et notre lieu de bivouac n'est pas sans nous évoquer le siège de Dien Bien Phu, entourés que nous sommes par moult camping-cars et caravanes ! La nuit est bercée par les accords d'un orchestre local que Philippe et Joachim qui lui ont rendu visite ont trouvé peu convaincant !

 

 

 

Mercredi – La guerre encore, Trogir enfin

 

Le départ du camping est tardif et le petit déjeuner pris sur l'herbe s'éternise. Il faut dire qu'aujourd'hui nous n'avons que 300 km à faire pour rejoindre Trogir où nous attend la maison que nous devons louer.

Je n'ai pas de courbatures après ma marche forcée d'hier. Le départ est donné à 11 h et la chaleur est déjà très oppressante, nos équipements de moto nous pèsent plus que jamais bien que Francine et moi ayons renoncé à nos pantalons de cuir pour des jeans.

La route est très chargée, et nous sommes obligés de dépasser de nombreux camions, ce qui rend notre progression commune pénible. Cette route est l'axe principal qui relie Zagreb à Split, deuxième ville du pays, de plus située sur la côte. Les voitures de touristes et les camions se mêlent donc sur cette route à deux voies assez étroites.

La progression est si lente que soudain, d'une belle accélération dont Joachim a le secret, il double toute une colonne de véhicules sous les yeux d'un véhicule de police garé sur le côté de la route et qu'il n'a sûrement pas vu ! Nous lui ferons la leçon à notre prochain arrêt, personne n'ayant envie d'avoir à négocier une amende ou un retrait de permis avec des policiers locaux !

Nous traversons une forêt assez dense qui est, paraît-il, peuplée d'ours, de loups et de chevreuils. Pas de risque pour nous d'en apercevoir avec cette circulation !

Heureusement, après la traversée d'une belle plaine cultivée, nous devons bifurquer vers Garac. Mais, quelques kilomètres avant cette bifurcation, nous constatons que Francine n'apparaît plus dans nos rétroviseurs depuis un bon moment. Nous ralentissons jusqu'à nous arrêter : toujours personne ! Philippe fait demi-tour pour savoir ce qui c'est passé. Nous finissions par les voir arriver ensemble. Soulagement ! Nous apprenons que Francine a été prise de l'envie irrésistible de prendre des photos alors que nous progressions à 90 km/h en slalomant entre les camions ! Et ce juste avant une bifurcation importante et ambiguë, la direction de Split étant indiquée dans les deux directions !

Nous reprenons notre progression, cette fois sur une route déserte, et l'allure est maintenue dans les limites légales. Nous nous enfonçons dans la Croatie profonde, laissant derrière nous l'axe touristique. Nous nous arrêtons dans une petit ville qui a des allures de Far West, pour prendre un très bon repas.

Peu après le repas, la route va se faire très oppressante. Nous entrons dans le territoire de la Krajina, qui accueillait avant 1995 une forte minorité serbe qui a fait sécession et qui a subi lors de l'offensive de 1995 une impitoyable épuration ethnique. Les maisons brûlées se multiplient, certains hameaux sont entièrement rasés, particulièrement le long de la voie de chemin de fer. Rares sont les habitations ne portant pas les marques de la guerre : reconstructions hâtives, toitures refaites, façades couvertes d'impacts de balles ou carrément ruines carbonisées.

Des cimetières ont été improvisés le long des routes, le nombre de tombes neuves nous fait penser à des emplacements de charniers. Tout cela est très oppressant et nous nous sentons très mal à l'aise... d'autant plus que l'ampleur des traces de destructions n'a jamais été aussi grande.

D'ailleurs, ces impressions lugubres sont confirmées lorsque nous nous arrêtons dans un bar pour nous rafraîchir. Nous consommons nos boissons fraîches devant le portrait géant d'un militaire en grand uniforme visiblement encensé comme un héros. Le bar nous semble-t-il a été construit dans une ancienne habitation détruite. Notre arrivée a provoqué une curiosité visiblement hostile. Nous ne nous attardons pas et cherchons un itinéraire par les petites routes qui nous mènerait directement à Trogir afin d'être à l'heure à notre rendez-vous. Toujours des maisons détruites au début de notre route, puis le paysage devient plus aride, les destructions moins visibles au fur et à mesure que nous approchons de la cote... Et bientôt, au détour d'un virage, la mer s'offre à nous. Trogir est tout proche et nous y arrivons une demi-heure en avance !

L'ambiance est tout autre ici, elle n'est pas sans évoquer la côte d'azur (toute proportion gardée bien sûr !) : circulation intense, bruit, touristes en maillot de bain. Quel contraste après ce que nous avons vu toute la journée !

Le rendez-vous a été donné avec une tante du collègue de Joachim. Elle doit nous remettre les clés de la maison et nous y amener. Il se trouve que cette dame est Sœur. C'est bien pratique pour reconnaître quelqu'un que l'on n’a jamais vu et avec qui on a rendez-vous. Surtout qu'ici la mode n'est vraiment pas à la robe de bure !

Nous nous postons devant notre lieu de rendez-vous et attendons. Et effectivement il nous faut un peu attendre pour voir apparaître la personne que nous attendons. Nous la rejoignons, elle est très gentille mais ne parle que l'italien et le croate ! Heureusement, Francine a quelques connaissances dans cette langue et elle nous servira d'interprète.

La maison s'avère immense et somptueuse. Elle dispose de quatre chambres et est entièrement meublée. Nous tirons au sort la plus grande chambre et c'est Annie et Philippe qui gagnent. Chacun s'installe ensuite ou il veut.

La maison est par contre installée entre la route nationale et un hôtel qui a été détruit pendant la guerre. Au loin on distingue les grues d'un port de marchandises ! Disons que l'environnement n'est pas à la hauteur de notre futur lieu de villégiature.

Nous aspirons tous à une bonne douche et à un repas ; des que notre charmante sœur Angelica s'en aperçoit, elle s'éclipse gentiment. Nous déchargeons les motos, les rangeons dans le garage afin qu'elles n'attirent pas trop l'attention. Direction le Konsum local et la journée se clôt doucement dans les conversations du soir. Chacun est content de redevenir sédentaire pour quelque temps !

 

 

Jeudi – Enfin sédentaire !

 

La nuit a été horrible ! La chaleur accablante et le bruit infernal de la circulation nous a presque fait passer une nuit blanche. Il faut dire que l'orientation de la pièce donne l'impression que les voitures la traversent, s'ajoutent à ce calvaire les aboiements d'un chien qui défend on se sait quel lopin de terre croate. La réveil est donc tardif et douloureux !

Le petit déjeuner amène une surprise, ce que nous avions acheté pour être du yaourt s'avère être un intermédiaire entre la crème fraîche et le kéfir : en tout cas, c'est délicieux !

Nous nous dirigeons vers la ville pour une rapide visite. Dans l'enceinte fortifiée datant du Moyen Age, nous sommes en présence d'un ensemble architectural très homogène et très bien conservé d'époque fin roman début gothique. L'enfilade de petites rues inextricables est bien agréable, hélas une foule trop nombreuses s'y presse ! Les matériaux employés rappellent Venise, il s'agit de ce fameux calcaire blanc qui était exporté partout en Europe tant sa couleur immaculée a été prisée. L'église possède un très beau portail roman orné d'une belle statuaire dont un Adam et Eve qui encadre l'entrée. Retour par le port, où nous constatons que les yachts de milliardaires aiment à mouiller sur la côte croate. Nous apercevons même un peu plus loin le navire de croisière à voile du club Méditerranée : décidément, Trogir est trop fréquentée !

Les kilomètres parcourus les jours précédents sont le prétexte à une longue sieste qui entamera une bonne partie de l'après-midi. Nous enchaînons par une séance de nettoyage des motos qui, somme toute, ne sont pas si sales après 1 500 km.

Nous nous sommes promis aujourd'hui de partir à la découverte d'une plage accueillante. Pas d'autres possibilités pour atteindre la mer que de longer la route. Après 20 minutes de cette épreuve, nous trouvons enfin un chemin qui nous mène au bord de l'eau. Nous jetons notre dévolu sur un ponton d'accostage pour nous mettre à l'eau. Il faut dire que la côte croate offre très peu de plages de sable et qu'en général le bord de mer est rocheux.

La température de l'eau est très agréable, Joachim s'est renseigné et annonce 28 degrés, mais d'après lui l'année est exceptionnelle. Toujours est-il que même moi je n'ai pas de mal à me jeter à l'eau ! J'ai amené mon matériel d'apnée et je pars à la découverte des fonds marins.

Ils s'avère pas très propres et les lointains tuyaux que je croise me semblent bien être des conduits d'égout ! La faune est rare si l'on fait exception des très nombreux concombres de mer qui ne sont pas, je crois, un signe d'eau très propre. Il y a tout même quelques champs de posidonie.

Il faudra que nous trouvions un coin de baignade plus accueillant, c'est sûr ! Heureusement, personne n'aura contracté de maladies honteuses après ce bain !

Nous trouvons un sentier qui longe la mer et traverse un joli village de pécheurs pour notre retour. Hélas, trop rapidement, nous n'avons pas d'autre choix que de rejoindre la route.

C'est d'autant plus pénible qu'un accident de moto vient de se produire. Un camion de pompier est sur les lieux, un homme armé d'un jet nettoie la chaussée d'une large tache de sang. Le choc a sûrement été rude au vu de la moto, une Honda 600 Hornet dont l'avant est complètement enfoncé. Les conséquences ont sûrement été d'autant plus dramatiques que le conducteur ne devait avoir ni casque, ni protection comme il est apparemment de règle ici... Heureusement, l'hôpital est situé juste à proximité. Nous sommes quelque peu ébranlés par cette vision, et le repas se déroule dans le calme devant un délicieux plat de spaghettis Carbonara préparé par Annie. Nous avons décidé d'installer notre couchage dans la pièce du rez-de-chaussée qui est a la fois la plus fraîche et la mieux insonorisée de la maison. Nous espérons passer une meilleure nuit que la précédente ! 

 

 

Vendredi – Une ville dans un palais romain !

 

 

Cette journée doit être consacrée à la visite de Split. Deuxième ville du pays, elle se trouve à peine à 20 km de Trogir. Nous décidons de laisser les motos au garage et d'emprunter les cars qui ici sont très populaires. D'ailleurs, presque aucun endroit n'est inaccessible en Croatie par ce moyen de transport !

Nous nous rendons donc à pied jusqu'à la gare de bus de Trogir en longeant la sempiternelle et dangereuse route nationale. Alors que nous cherchons l'arrêt, un vieux monsieur nous aborde en s'adressant à nous dans un français impeccable et nous demande ce que nous cherchons. Il nous renseigne gentiment et nous apprend qu'il a habité en France de nombreuses années. Il ne faut pas oublier que l'ex-Yougoslavie a été un pays d'émigration, d'ailleurs principalement vers l'Allemagne où, avant l'arrivée des Turcs, les Yougoslaves représentaient la population étrangère la plus nombreuse, nous apprend Joachim.

Après quelques minutes d'attente, un superbe bus climatisé arrive dont le terminus est justement Split. Le luxe de ce car est inespéré après les ruines sur roues que nous avons vu défiler ! La douce température qui y règne est un soulagement après notre attente sur le béton surchauffé de la gare routière. Les billets sont achetés à l'intérieur auprès d'un aide- chauffeur à la mode marocaine.

Le car nous laisse sur le port de Split et nous partons à la recherche du centre historique.

Quel choc lorsque nous le trouvons : il est construit à l'intérieur d'un palais de l'époque romaine ! En fait il s'agit de l'ancien palais de l'empereur romain Dioclétien. Dioclétien, à l'origine fils d'esclave, est né en Croatie en 285 après J.-C. Il est proclamé empereur par ses troupes après ses victoires sur les invasions barbares. Il est connu pour avoir un été un des empereurs les plus cruels envers les chrétiens qu'il martyrisa lors de son règne, sans doute pour préserver l'unité de l'empire romain. C'est lui également qui est à l'origine de la division entre l'Occident et l'Orient européens puisque, à la fin de son règne, pour mieux diriger l'immense empire, il le partagea en deux. A la fin de sa vie, il se retira dans sa région natale où il s’est fait construire l'immense palais que nous avons devant nous. Lequel suite aux invasions barbares qui suivirent donna naissance à la ville de Split.

Toujours est-il que ce que nous découvrons est exceptionnel. Il résulte de l'appropriation de ce palais par les habitants au cours du temps, un incroyable syncrétisme architectural. Bâtiments romains, moyenâgeux et plus modernes se mêlent dans un ensemble vivant et quelque peu anarchique. Ainsi se côtoient béton, colonnes, portails sculptés, tout ceci peuplé d'habitants qui déambulent et vivent naturellement dans ce cadre exceptionnel. C'est la chance de ce centre de ne pas être figé en musée mais en perpétuel mouvement. Il paraît d'ailleurs qu'il s'agit du palais romain le mieux conservé au monde. Une ascension au sommet de la tour de la cathédrale s'impose ! La foule s'y presse mais certains passages assez vertigineux font renoncer beaucoup de gens et le sommet est du coup peu fréquenté. Le panorama sur la ville est à couper le souffle. Il permet aussi de bien prendre conscience de la taille pharaonique de l'enceinte du palais de l'empereur.

Jamais je n'ai vu un ensemble architectural pareil, et cette découverte me remplit d'aise. Rendez-vous a été donné afin que chacun puisse découvrir ce lieu exceptionnel à son rythme. Tout le monde se retrouve à l'heure dite afin de chercher un restaurant pour le repas de midi.

Nous flânons pendant l'après-midi dans le reste de la ville qui n'a pas le charme du centre. Les immeubles en béton évoquent immanquablement l'ex-Bloc soviétique.

Lorsque le temps de partir est arrivé, nous cherchons un bateau qui nous ramènera à Trogir. C'est peine perdue, il n'existe qu'une navette hebdomadaire le vendredi. Nous rentrons donc en car, qui cette fois est loin d'être luxueux bien que plus cher.

Nous décidons de terminer la journée par un bain de mer. Mais cette fois nous utilisons les motos afin de pouvoir nous éloigner plus que la dernière fois afin de trouver un lieu de baignade plus propice. Il nous faut peu de temps pour trouver une plage agréable et nous nous jetons à l'eau. J'ai décidé cette fois de m'entraîner un peu au crawl et au retour je tente une exploration sous-marine de l'endroit. Il est bien plus agréable qu'hier et il s'avère qu'il recèle même beaucoup de faune : rascasse, crabe, sar... Ce spectacle me donne envie de plonger à nouveau !

Nous rentrons et préparons un repas de salades : demain, une excursion en Bosnie nous attend.

 

 

Samedi – Le visage de la guerre comme jamais

 

Aujourd'hui doit être pour moi une des journées phares de notre séjour. Nous avions prévu lors de notre préparation plusieurs options quant aux visites que nous voulions effectuer ; beaucoup d'entre nous voulaient ce rendre à Dubrovnik, hélas cinq heures de car nous séparent de cette ville souvent qualifiée de joyau de l'Adriatique. Nous avons finalement renoncé à nous y rendre devant la durée supplémentaire que représente cette excursion. J'avais quant à moi émis fortement le souhait de me rendre en Bosnie, rien ne m'aurait empêché de le faire. Je voulais en effet absolument visiter ce pays martyr dont nous avons tous appris l'existence lors des informations télévisées durant la guerre de 1992 à 1995. Pays martyr comme nul en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, j'étais irrésistiblement attiré. J'ai donc rassemblé le plus de renseignements possible avant le départ pour savoir si ce projet était réalisable. Les informations récoltées auprès du ministère des Affaires étrangères français étaient assez alarmistes, il déconseillait en particulier la zone croato-musulmane qui se trouve justement en face de Split. D'autre part, il mettait fortement en garde contre les nombreuses zones minées présentes. Enfin, nos cartes d'assurance disaient clairement qu'elles ne sont pas valables sur le territoire de la Bosnie (ni de l'Irak d'ailleurs !). Les assureurs sont toujours prompts au courage et à la prise de risques pour leur client ! Tous cela avait un parfum d'aventure qui était loin de me déplaire. J'ai même fini par persuader mes compagnons de me suivre.

Nous avons consulté la carte pour savoir quelle était la première ville de Bosnie qu'il était possible d'atteindre sans trop faire de kilomètres : il s'agit de Mostar. Il nous faudra traverser la région de la Krajina qui a été la plus touchée par l'épuration ethnique, en particulier des milices nationalistes croates de Bosnie contre les musulmans. La ville de Mostar a juste été la ville la plus touchée par les combats et est même devenue un des symboles les plus dramatiques de cette politique, en particulier lorsque son pont ancien a été détruit par des tirs d'artillerie de ces fameuses milices. Mais je ne dévoile rien de cela au reste du groupe pour ne pas le décourager.

Nous avons calculé à peu près 300 km aller-retour et nous ne prendrons que trois motos.

Départ à 10 h du matin, pour longer la banlieue industrielle de Split. Nous enchaînons avec le contournement de Split par les périphériques de la ville pour finalement atteindre enfin la route qui longe la côte. Elle bien décevante ici, très fréquentée bien qu'il soit l'heure de l'office et que les Croates très catholiques sont visiblement dans les églises : mais c'est compter sans les touristes ! La circulation est très dense, nous décidons donc d'improviser un itinéraire sur des routes que nous espérons moins fréquentées. La route monte sur les hauteurs, et dès que nous nous élevons le paysage devient grandiose ! Nous nous arrêtons pour un arrêt photos qui s'impose. Une fois sur le plateau, le paysage nous semble étrangement familier tant il ressemble au plateau karstique du Larzac. Nous décidons de faire le plein en territoire croate à quelque kilomètre de la frontière car nous ne connaissons ni la disponibilité, ni le prix du carburant, ni même la nature de la monnaie du côté bosnien (le terme bosniaque est réservé aux seuls musulmans de Bosnie).

La station-service est flambant neuve et pas moins d'une dizaine de Mercedes et d'Audi sont garées devant un café attenant. Les propriétaires sont attablés à la terrasse. Le contraste entre le luxe des voitures et l'endroit nous met mal à l'aise. Nous ne pouvons que penser à des voitures volées, certaines immatriculées en Croatie portant encore le sigle européen de la l'Allemagne.

Nous repartons, la frontière est en vue et nous avons un pincement au cœur : nous nous demandons comment va se passer la suite. Joachim est devant, nous pâlissons quand on lui demande de se ranger sur le côté, il en est de même pour nous tous. Nous constatons que les douaniers apprécient peu le port des casques intégraux qui rendent difficile l'identification de certains d'entre nous. Nous béquillons les motos et enlevons les casques. Le douanier disparaît dans sa casemate et je remarque qu'il note soigneusement nos identités et nous avons bien une idée de ce qu'il va en faire. Il faut dire que les véhicules qui défilent devant nous sont tous croates ou bosniens, pas l'ombre d'un touriste, pourtant si nombreux sur la côte.

On finit par nous laisser circuler, nous enfourchons nos motos.

Nos premiers kilomètres en Bosnie ne révèlent pas de traces de la guerre, mais de nombreuses maisons sont neuves, certaines sont somptueuses, et le parc automobile ne manque pas de nous étonner : là encore Mercedes, Audi, mais aussi 4x4 Chevrolet, Porsche : il semble que toutes les voitures de luxe du monde soient rassemblées ici. Nous surnommerons d'ailleurs l'endroit « vallée aux Mercedes ». Leurs conducteurs ne manquent pas de nous étonner également : ils sont tous très jeunes, parfois pas plus de 20 ans. Nous nous attendions à trouver un pays ruiné et nous ne voyons que luxe et dépenses somptuaires partout.

J'apprendrai plus tard que nous avons traversé le fief des milices nationalistes croates de Bosnie, que les trafics mafieux, de voitures volées et en particulier d’armes, les détournements des aides de l’UE, sont généralisés ici et qu'ils ont même poussé un des premiers ministres bosnien (le gouvernement est collégial, constitue de trois premiers ministres : un musulman, un serbe, un croate qui gouvernent à tour de rôle sous l'autorité d'un contrôleur international) à démissionner récemment... En tout cas, il ne ferait pas bon tomber en panne ici (heureusement que la Cagiva de Christian n'est pas avec nous !).

Toujours est il que notre malaise est grand à traverser cette région.

Nous avons décidé de respecter scrupuleusement les limitations de vitesse pour éviter tout problème avec la police locale (en fait, il existe six polices locales différentes, plus une police internationale sous l'autorité de l'ONU, constituée de 14 000 hommes). Nous ne croiserons pourtant aucun uniforme d'aucune sorte malgré les renseignements alarmistes du site du ministère ! Notre progression à 80 km/h sur route et à 60 km/h en ville est très lente.

Enfin Mostar est en vue. Plus nous nous approchons de la ville, plus les traces de la guerre sont visibles. Mais ici il ne s'agit pas seulement de traces de balles, des armes lourdes ont été utilisées : les carcasses en béton de certaines maisons et même d'immeubles en témoignent. Cependant, tout cela n'est rien par rapport à ce que nous allons découvrir plus tard... Nous arrivons par la partie catholique de la ville, identifiable grâce à la cathédrale toute neuve qui dresse son clocher bien au-dessus de tous les autres bâtiments de la ville. En fait, nous cherchons à atteindre la vieille ville dont la réputation de beauté est parvenue jusqu'à nous. Quel choc lorsque nous y parvenons, l'ampleur des destructions est effrayante bien que beaucoup de bâtiment aient été reconstruits. La violence des combats ici a marqué chaque façade de milliers d'impacts, avec des trous béants provoqués par les obus. De nombreux bâtiments anciens et modernes tiennent à peine debout. Et comble de l'ignominie, la vieille ville musulmane a été rasée à 80 %... Le vieux pont symbole de la ville, et qui avait permis son essor économique depuis le Moyen Age, est détruit, de même que les tours anciennes qui le surplombaient. On s'est battu dans un musée en plein air ici.

Nouveau choc lorsque nous découvrons le cimetière musulman dont de très nombreuses tombes neuves portent inscrite l'année 1993. Pire encore, nous apercevons des dizaines de pierres tombales sur les collines qui surplombent la ville... Je prends toutes ces visions comme une immense gifle, je n'ose imaginer les souffrances qui ont été endurées ici. Que ceux qui glorifient les valeurs guerrières viennent ici et qu'ils regardent dans les yeux ces survivants dont beaucoup mendient pour survivre, comme nous le constaterons...

Nous croisons aussi des gens fiers de leur ville, comme ce musulman qui nous proposera de visiter une des mosquées reconstruites ou ce guide qui ennène un groupe d'Allemands à travers la ville...

A mon retour, j'ai voulu comprendre ce qui s'était passé dans cette ville martyre. Et voilà ce que j'en ai compris. En 1992, à la suite de la Slovénie et de la Croatie, différentes factions de la Bosnie s'affrontent. En fait, ce pays est constitué de trois ethnies : les Croates à l'ouest, les musulmans convertis par l'invasion turque au XVIe siècle et les Serbes à l'est. La partition se fait dans un premier temps entre les Croates et les musulmans qui alliés réclament un Etat indépendant contre les nationalistes serbes, qui eux veulent rester dans la coalition yougoslave de Slobodan Milosevic. Mostar est à la frontière de tous ces groupes. Dans un premier temps, les nationalistes serbes soutenus par l'armée yougoslave prennent le contrôle d'une grande partie du territoire mais se heurtent à la résistance bien que moins armée à cause de l'embargo sur les armes des Croate et des musulmans. La ligne de front s'établit autour de Mostar qui est bombardée depuis les hauteurs par l'artillerie serbe, dans le reste du pays les Serbes instaurent un nettoyage ethnique contre les musulmans allant jusqu'à la création de camps de concentration. Mais, en 1993, les nationalistes croates de Bosnie, profitant du chaos, demandent le rattachement de la partie croate à la Croatie. Ils sont soutenus par Franjo Tudjman. Là encore, Mostar est à la frontière du territoire des protagonistes et cette fois ce sont les chars croates qui se retournent contre les musulmans. Ce sont eux qui détruiront le fameux pont... En 1995, sous la pression internationale, un cessez-le-feu est imposé à Franjo Tudjman et à Milosevic. Les Nations unies iront jusqu'à bombarder l'artillerie serbe qui refuse de se retirer. L'Etat de Bosnie est créé par les accords de Dayton, il est sous juridiction internationale bien que des institutions tripartites, comme je l'ai expliqué plus haut, soit créées. En fait, cet Etat artificiel, partagé entre trois ethnies, chacune minoritaire et se détestant, fonctionne très mal et chacun s'accorde à dire qu'il ne survivrait pas au départ des forces militaires internationales.

Quant à nous, ce que nous constatons, c'est que les catholiques croates de l'ouest de la ville écrasent celle-ci de leur prédominance : l'église est de loin le plus haut bâtiment de la ville, une immense croix dressée surplombe la ville de sa morgue et les affiches vantant la venue du pape qui a canonisé un prête croate récemment sont partout. Décidément, ce Jean-Paul II est sûrement un des pires papes qu'a connus l'humanité et, si ces actes sont réfléchis, son prosélytisme est vraiment indécent, particulièrement ici...

Nous avons tous de loin préféré la partie musulmane de la ville, dont l'atmosphère est calme et sereine, autant celle du côté catholique a paru oppressante et froide. C'est d'ailleurs dans la partie musulmane que nous avons décidé de manger dans une très bonne pizzeria.

J'apprendrai également plus tard que les deux populations ne se mélangent absolument pas et qu'il est impensable pour un Croate de se rendre du côté musulman et inversement, que la ville compte deux mairies, toutes les institutions sont doublées... Décidément, les conflits ethniques et religieux ne sont vraiment qu'imbécillité et obscénité, et tout ceci au cœur de l'Europe...

Mais il est temps de partir, nous avons décidé de ne pas reprendre le même chemin : la seule pensée de retraverser la vallée aux Mercedes nous était très désagréable...

Nous prenons donc une route à l'est de la ville et traversons un bois encore miné, comme nous l'indiquent les nombreux écriteaux sur le bord de la route ! Après de nombreuses hésitations, nous retrouvons la frontière en traversant cette fois une région qui est plus conforme aux données économiques que nous avions sur le pays (340 euros de revenus mensuels, 40 % de chômage). La frontière est dans ce sens passée sans problème et le douanier nous gratifie même d'un sourire lorsque nous lui apprenons que nous sommes français. Sans doute que Bernard Kouchner qui a été le contrôleur international du pays n'y est pas pour rien.

Hélas, les quelques heures de route qui nous attendent pour le retour sont éprouvantes, la circulation est intense sur la côte, au point de créer de véritables embouteillages. Et puis tous ces touristes en maillot de bain déambulant une glace à la main, contents d'eux, gras, plus ou moins obscènes, tout cela me semble d'un incroyable et répugnant décalage avec se qui se passe à seulement quelques kilomètres... Heureusement, le soleil nous gratifie d'un somptueux coucher rouge sang lors d'une descente vers l’étincelante côte croate, qui met un peu de baume à nos âmes bousculées par tout ce qu'elles ont vu aujourd'hui...

 

 

Lundi – Que les villes croates sont belles !

 

Ce matin, réveil en douceur pour nous remettre doucement de nos émotions de la veille. Notre programme d'aujourd'hui n'est pas très chargé : nous avons juste décidé de visiter la ville de Sibenik qui se trouve à une cinquantaine de kilomètres de Trogir. Toutefois, pour éviter le plus fort de la chaleur qui nous a fait tant souffrir à Mostar au point que certains se trouvaient mal, nous ne partirons qu'en fin d'après-midi.

Le repas est léger et constitué de différentes salades, ça n'est pas un mal pour nos estomacs ! Une baignade s'impose après le repas, nous rejoignons la plage en moto. Nous avons décidé de pousser encore un peu plus loin notre exploration de la proche côte qui nous entoure. Nous partons donc à pied à travers les rochers, à la quête d'un endroit tranquille car à cette heure la plage est fréquentée ! Nous repérons une jolie anse justement à l'ombre. Hélas, un vieil homme s’y trouve déjà ! Voyant nos hésitations, il nous invite gentiment à venir le rejoindre. Nous acceptons d'autant plus facilement que nous allons pouvoir utiliser deux parasols qui sont plantés là à loisir. Nous engageons la discussion avec lui en anglais et nous apprenons qu'il est né à Trogir mais vivant en Italie : on peut dire que pour lui l'Europe ça n'est pas une plaisanterie !

Nouvelle séance d'apnée pour moi d'une heure environ, décidément je suis un peu déçu par les fonds ici, je suis même tombé sur une décharge sous-marine ! Espérons que les centres de plongée que l'on a vus un peu partout proposent des sites un peu plus protégés et agréables ! Je fais toutefois des émules puisque Francine et Joachim m'empruntent mon matériel pour partir à la découverte sous-marine des environs. Une baigneuse fait de même à côté de nous sur un matelas pneumatique, et ce dans une position plus que suggestive, ce qui nous laisse hilares quand nous voyons la tête que fait son copain resté sur la rive !

Il est 15 h et nous sortons les motos du garage pour notre excursion. Nous passerons par l'intérieur des terres à l'aller pour rejoindre Sibenik au plus vite, nous emprunterons la route de la côte au retour. Rapidement, la route s'élève et la splendeur de la côte s'offre à nous. Ce pays n'est jamais aussi beau que lorsque l'on prend de l'altitude. Un arrêt contemplatif s'impose ! Nous reprenons notre progression toujours au milieu d'un plateau qui nous évoque immanquablement le plateau karstique du Larzac. Nous croisons un bus qui a visiblement brûlè dans la journée sur le bas-côté de la route. Apparemment, il n'y a pas de victimes et la voiture présente sur les lieux ne semble pas harassée par le travail.

Sibenik est vite là et nous dirigeons vers le centre-ville où se trouve la cathédrale. Nos guides la présentent rien moins que comme le joyau architectural de l'Adriatique ! Effectivement, l'éclatante blancheur du bâtiment révèle de très belles proportions toutes en rondeur. Nous sommes en présence d'un bâtiment construit pendant la période de transition entre le gothique et le style Renaissance. Il me semble quant à moi qu'elle se rapproche assez nettement de ce qu'a pu produire l'architecture Renaissance de Venise. Elle n'est pas immense mais le fameux calcaire blanc de Hvar lui donne un éclat particulier. Elle a été récemment restaurée car elle fut lourdement touchée par les bombardements serbes de 1991, comme l'usine de production d'aluminium qui elle n'a jamais été reconstruite, ce qui a entraîné une forte perte de pouvoir d'achat pour les habitants de la ville. La restauration a été assurée grâce au financement de l'Unesco et les architectes modernes n'ont pas réussi à reproduire la technique sans scellement qui avait été employée à l'époque ! L'intérieur est quelque peu chargé comme il était de mise à cette époque. L'architecture intérieure un peu lourde est loin de valoir celle de l'extérieur du bâtiment. Particulièrement la représentation des portraits de 70 contemporains qui sont la grande originalité de la cathédrale. Ils sont comme autant d'instantanés des visages de l'époque. Représentations d'hommes et de femmes sont confondues, leur modernité est étonnante, et l'on reste fasciné par des visages que justement l'on dévisage !

Nous poursuivons par une visite de la ville et en particulier de sa citadelle. Ici la côte est séparée par un long fleuve qui se jette dans la mer par un étroit chenal. Là encore, le spectacle est magnifique. Particulièrement l'entrée et la sortie des bateaux dans le port puisqu'ils sont obligés d'emprunter l'étroit chenal. Quelle quiétude il ressort de ce paysage... Bien sûr de nombreuses îles sont également visibles au loin ! La citadelle aussi a été bombardée et on voit des traces de fixation de ce qu'on pense être des batteries ariennes. La guerre est visiblement partout.

Nous redescendons dans le centre et nous attablons devant des boissons fraîches pendant qu'un banc de dauphins remonte le port à quelques mètres des quais !

Nous rejoignons les motos et empruntons la route qui longe la côte pour retourner dans notre home, sweet home ! Plusieurs arrêts sont nécessaires pour apprécier pleinement la beauté de la côte. Nous nous arrêtons dans la petite ville de Premesten, qui est constituée d'un petit village fortifié. Hélas, le lieu est envahi par une véritable horde de touristes attirés par un orchestre local qui nous gratifie de reprises approximatives de chansons anglo-américaines. Nous montons au sommet du village pour y trouver un peu de calme. Bien nous en fait puisque se trouve là l'église du village entourée de son cimetière. Nous savourons le calme de l'endroit sous un magnifique soleil couchant, assis sur les tombes. Mais il est tard et il est temps de trouver un lieu pour manger loin du vacarme du village. Nous allons trouver notre bonheur sur une presqu'île. Hélas, l'endroit est trop touristique pour être à la fois bon marché et de bonne qualité malgré la gentillesse et la bonne volonté de la serveuse. Le retour se fait de nuit, guidés par les lumières de la côte.

 

 

Mardi – Les robinsons croates

 

Pour notre avant-dernière journée en Croatie, nous devons prendre une navette maritime afin de nous rendre sur l'île de Drvenik, au large de Trogir. Le départ du ferry se fait à 12 h, ce qui nous laisse le temps de vaquer en toute quiétude à nos différentes activités dans la maison jusqu'à une heure tardive et ce au son de la musique que j'ai amenée et qui nous change agréablement des CD d'orchestre locaux que nous avons trouvés dans la maison. Nous avons en effet réussi à brancher mon lecteur mp3 sur la chaîne hi-fi, et l'on profite à fond du Mambo n° 5 !

 

Nous nous rendons sur le port en traversant une fois encore les rues tortueuses du vieux Trogir. Et nous nous pressons à l'embarquement. Le bateau nous attend : il s'agit d'un ferry à coque métallique dont la prime jeunesse est bien loin. Il est plein de charme et apparemment parfaitement entretenu. D'ailleurs, la peinture fraîchement apposée sur les couches antérieures forme une gangue sur tous les éléments métalliques : on dirait presque des concrétions ! Il m'évoque irrésistiblement les navettes qui traversent le Bosphore à Istanbul. Il y a peu de monde sur le pont que des toiles tendues ombragent avec bonheur car la température a atteint aujourd'hui encore des sommets ! Les passagers sont essentiellement composés de touristes dont quelques Italiens dont la vulgarité de comportement (et de tenue) ne peut laisser de doute sur leur nationalité (une Italienne passera presque tout le voyage à tripoter les bourrelets de son copain en maillot de bain sous les regards médusés de la majorité de l'assistance !). Plus d'une heure de navigation à travers les îles nous amène jusqu'à notre destination après une courte escale. Dvrenik est une assez grande île, d'ailleurs le port qui nous accueille est constitué d'une cinquantaine de maisons. Les bâtiments anciens sont bien sûr construits dans le fameux calcaire blanc, hélas les bâtiments plus récents en béton dénaturent un peu le lieu. Tous les bâtiments sont construits autour d’une baie qui forme un port idéal. L'ensemble respire le calme et la volupté insulaires !

Nous nous étonnons de la présence de quelques voitures dans un si petit endroit. Il faut dire qu'il s'agit essentiellement de vieux modèles qui ont sûrement eu une vie agitée avant de finir leur existence sur les quelques kilomètres de route de l'île !

Nous avalons un rapide petit déjeuner qu'une polémique lancée par Annie sur les saucisses allemandes anime jusqu'au dessert. Elle est pourtant bien bonne cette Knackwurst farcie au fromage ! Le repas est suivi d'une dégustation de café et de cappucinos pour certains au sommet d'une terrasse surplombant le port. Nous décidons de traverser l'île à pied pour nous rendre sur la rive opposée afin de nous baigner.

La traversée se fait sous une chaleur harassante, la progression est réellement difficile bien que le paysage soit superbe. Annie et Philippe renoncent à mi-chemin pour retourner vers le port. Francine, Joachim et moi continuons à travers la lande. Nous finissons par arriver dans une petite crique pleine de charme. Deux petites maisons de pêcheurs nous rappellent que l'île est habitée. Nous nous jetons à l'eau pour une longue séance d'apnée pour moi, un peu plus courte pour Joachim et Francine qui a même fini par faire l'acquisition d'un masque et d'un tuba.

Nous découvrons une belle flore (beaucoup de posidonie) sous-marine mais hélas toujours peu de faune, si ce n'est quelques étoiles de mer d'un rouge flamboyant. Il apparaît évidemment que le milieu de l'après-midi n'est pas la meilleure période pour croiser plein de poissons, surtout à cette profondeur. Toutefois, la pureté de l'eau est cristalline et j'estime la visibilité sous l'eau à 10 m au moins !

Le temps passe vite et il est temps de retourner au ferry ; nous empruntons le même chemin qu'à l'aller. Le ferry lève l'ancre à 19 h, il a d'ailleurs attendu l'heure du retour dans le port : il ne fait donc qu'une rotation dans la journée, la rentabilité doit être difficile à atteindre surtout que le prix des billets est très abordable. Nous partons à l'heure prévue, décidément la ponctualité est bien ancrée dans la culture slave ! Nous faisons le chemin de retour dans la relative fraîcheur du soir, accompagné, par un somptueux coucher de soleil qui éclaire les îles de mille couleurs. Les Italiens s'offrent à nouveau en spectacle, décidément il existe des valeurs sûres !

Nous abordons et, comme il était prévu, nous nous dirigeons vers l'un des meilleurs restaurants de Trogir en espérant que nos tenues et nos look (en particulier celui de Philippe qui traîne éternellement avec lui un sac plastique plein qui traîne presque par terre !) ne nous en interdiront pas l'entrée ! Pas de formalisme excessif pour le maître d'hôtel qui nous demande toutefois de revenir dans une heure à cause de l'affluence. Juste le temps de prendre une douche et de nous changer pour correspondre un peu mieux aux critères de la clientèle !

Nous dégustons donc leur spécialité de poissons, un risotto à l'encre de sèche pour moi ainsi que les vins blancs qui sont la spécialité du pays. Puis c'est le retour pour la dernière nuit dans notre pied-à-terre.

 

 

Mercredi – Une erreur bénéfique

 

C'est aujourd'hui le jour du départ de Trogir, et de notre si agréable maison de villégiature. Pour éviter la canicule toujours présente, nous avons décidé de lever le camp vers 17 h. Nous avons donné rendez-vous à la mère de notre propriétaire à cette heure pour lui remettre les clés et nous acquitter du prix de la location. La majeure partie de la journée est consacrée au nettoyage et au rangement de ce qui a été notre lieu de vie pendant une semaine. Et il y a du travail, chacun a largement pris ses aises et a profité de l'espace qui nous manque temps quand nous sommes itinérants. Chacun se lance donc dans l'entreprise et les lessives se succèdent, l'aspirateur est poussé dans ses derniers retranchements, et la vaisselle est durement malmenée.

Le repas de midi est composé de nos restes de courses. Une copieuse polenta en constitue l'essentiel, chacun l'agrémente comme il peut, qui avec du fromage, qui avec du yaourt, dans la bonne humeur. Et il en faut pour trouver des qualités gustatives à ce plat ! Finalement, bagages bouclés, motos chargées, nous sommes prêts à partir après avoir enfilé nos cuirs et nos blousons coqués : ce qui est une dure épreuve par cette chaleur !

Les formalités de paiement sont vite terminées ainsi que les remerciements. Nous prenons enfin la route vers Rijeka, en passant par la route de Sibenik, ce qui nous permet un dernier coup d'œil sur le somptueuse baie de Split. Puis, après avoir dépassé Sibenik, c'est la route de la côte et ses dizaines d'îles que nous longeons jusqu'à Zadar. C'est à la hauteur de Zadar que nous croiserons tout d'abord un car fou qui n'hésite pas à doubler des voitures sur une route sans visibilité au mépris de la vie d'un pauvre automobile polonais qui ne devra son salut qu'à une manœuvre désespérée. Ouf, c'est pas passé loin ! Mais plus question de rester derrière cet inconscient, nous le doublons d'un coup d'accélérateur pour nous apercevoir que le conducteur de ce car ne doit pas avoir plus de 25 ans ! Puis à Zadar notre groupe est doublé par un scooter lancé à plus de 90 km/h dans une montée pleine de courbes ! L'angle et les louvoiements de l'engin qui est occupé par deux adolescents évidemment en t-shirt, sandales, et sans casque, nous laisse bouche bée. Personne n'osera relever le défi de peur de les voir prendre encore plus de risques et que tout se finisse mal. Nous avalons donc l'humiliation et passons notre chemin ! En traversant la ville, nous remarquons qu'elle a aussi beaucoup souffert de la guerre. De nombreuses maisons ont été bombardées par l'aviation serbe, des façades ont été copieusement mitraillées. Nous verrons même au loin un hameau complètement rasé... Décidément, il est difficile d'oublier cette guerre.

Passé Zadar, il s'agit de ne pas nous tromper : la côte forme une longue presqu'île en cul-de-sac. Il nous faut trouver le pont qui permet de passer le bras de mer qui nous sépare de la route de Rijeka. Je roule prudemment et jette de fréquents coups d'œil à la carte fixée sur ma sacoche de réservoir ! Hélas, malgré toutes ces précautions, nous nous engageons sur la mauvaise route ! Malgré mes appels de phares et mes tentatives d'arrêt, mes collègues tout à leur enthousiasme foncent dans la voie sans issue et ignorent mes avertissements ! Je m'arrête même sur le bord de la route mais ils passent leur chemin en m'ignorant superbement : je reconnais bien la solidarité motarde, et si ma moto était en train de prendre feu ! j'ai bien peur qu'elle brûlerait tranquillement pendant qu'ils continueraient leur route !

Enfin, ils finissent par s'arrêter ! Il est au moins nécessaire de vérifier que nous pouvons prendre un bac quelque part pour rejoindre la côte. Effectivement, un bac fait la navette au bout de l'île, nous décidons donc de continuer dans cette direction... Notre erreur de parcours nous révèle un paysage comme nous n'en avons pas vu encore et qui méritera de nombreuses pauses photos. Le paysage est hors du monde, le calcaire blanc, l'absence de végétation le rend lunaire, nous sommes tous subjugués. Finalement, nous nous félicitons de nous être égarés !

 

Nous rejoignons la ville de Pag pour trouver un restaurant. Pour ce faire, nous longeons des kilomètres de marais salants. Notre entrée en moto fait sensation dans cette petite ville ! Le repas est excellent, sûrement un des meilleurs de notre séjour et ce pour un prix bien plus raisonnable qu'hier ! Mais il est 11 h, nous devons partir à la recherche d'un camping car il n'est hélas plus possible de bivouaquer comme nous l'avions évoqué auparavant. Décidément, je n'ai pas de chance. Je trouve personnellement que le bivouac est l'aboutissement de la liberté que procure la moto : quoi de plus agréable que d'arrêter sa moto où l'on se sent bien, loin de toute présence humaine dans un paysage superbe !

Pour le moment, nous sommes plutôt devant un camping trois étoiles très fréquenté... Notre arrivée tardive nous fait renoncer à planter la tente, sauf à Annie et Philippe... Tout cela ressemble aux inconvénients d'un bivouac... hélas sans ses avantages.

Le sommeil nous gagne vite après cette longue journée.

 

 

Jeudi – Trois pays en une journée

 

Réveil à l'aube pour les aventuriers qui n'ont pas de toit au-dessus de leur tête : difficile de faire la grasse matinée quand le soleil se lève à 5 heures du matin ! Francine est partie très tôt pour faire des photos de l'île dans la lumière du lever du jour. Je visite le camping pendant que mes camarades sont encore endormis. Il descend doucement vers la mer et je savoure le calme et le paysage en prenant mes notes quotidiennes face à l'horizon. Je pars acheter de quoi déjeuner, ce qui me permet de faire une découverte : des croissants au goût champagne ! 

Avouons-le, c'est mauvais et tout le monde partage cet avis après avoir goûté. Il est temps de partir : nous devons rejoindre Venise avant la tombée du jour !

Nous passons payer le camping : le prix est astronomique, surtout au vu de notre séjour ! Arrivés à minuit, repartis à 8 h, nous n'avons même pas planté la tente ! Bien sûr, c'est de notre faute si nous n'avons pas profité de l'aquagym et de la boîte de nuit qui a fermé ses portes juste après notre arrivée ! Enfin, c'est quand même dur à avaler...

Bon, le ferry nous attend et la route qui nous en sépare nous subjugue. Le caractère lunaire du paysage s'accentue et nous n'avons plus l'impression de rouler sur notre bonne vieille planète. Cailloux aveuglants, aucune végétation, la mer et la côte pour horizon : Dieu que nous sommes heureux de nous être fourvoyés hier ! Nous arrivons à l'extrémité de l'île de Pag où un ferry flambant neuf nous attend. Nous embarquons, la traversée ne dure hélas qu'une dizaine de minutes...

Nous rejoignons le route de la côte et partons pour Rijeka. Cette partie de la côte est sans conteste la plus belle que nous ayons longée jusqu'à maintenant. La route à flanc de montagne prend souvent de l'altitude, nous offrant des panoramas qui nous font souvent oublier le pilotage ! La côte très belle jusqu'ici est maintenant à couper le souffle. L'archipel est bien là sous nos yeux, poussière de terre semée dans l'eau turquoise... Je crois que même la Corse n'est pas aussi belle, ni même la côte basque espagnole que j'ai pourtant tant aimée...

Notre progression est lente et fatigante : la circulation est dense, la chaleur étouffante.

Nous nous arrêtons dans une petite ville balnéaire pour nous restaurer, ce sera notre dernière halte en Croatie. Le repas est si copieux qu'il pèsera lourd sur nos estomacs pendant tout l'après-midi : et me fera jurer de me mettre à la diète le soir même !

Les frontières croato-slovéne et slovéno-italienne sont passées sans aucun problème. Ce qui n'est pas le cas pour les automobilistes dans l'autre sens où l'attente doit facilement dépasser une heure. Nous nous félicitons d’être passés au nord de la Slovénie à l'aller !

Lors de l'entrée en Italie, nous essayons de prendre la nationale pour quelques kilomètres. Mal nous en prend : comme nous l'avons constaté l'année dernière, il est littéralement impossible de circuler sur les routes nationales italiennes. D'autant plus que la pluie qui nous suit depuis l'entrée en Slovénie rend l'exercice encore plus dangereux. Nous prenons donc l'autoroute. Il s'avère tellement chargé que nous sommes parfois complètement arrêtés !

Nous approchons de Mestre et je suis chargé de retrouver le camping le plus honnête dans lequel nous nous étions arrêtés l'année dernière. Le stress monte, les directions changent sans arrêt et ne sont pas répétées. Je manque l'embranchement que je cherchais depuis un moment mais heureusement le prochain nous mène au même endroit ! Mes souvenirs nous guident directement vers le camping : je ne suis pas peu fier de l'exploit ! Nous arrivons au camping, il y a beaucoup de monde mais il est agréable. Très ombragé, les occupants sont calmes et en général ne restent qu'un ou deux jours, le temps de la visite de Venise. Nous plantons la tente et je m'endors dans l'attente d'une nouvelle visite de la Serenissima.

Vendredi – Venise la Sérénissime

 

Cette journée a décidément un parfum de fin de voyage : l'ambiance est morose au réveil. D'autant plus que deux mômes dans une tente voisine nous ont mené la vie dure jusqu'à une heure tardive. Joachim qui avait planté sa tente juste à côté a particulièrement souffert : il est même allé jusqu'à menacer de se lever dans la nuit. Les gamins sans doute surexcités par la nouveauté de coucher sous la tente ont harcelé leurs parents et tout le voisinage par la même occasion. Nous déjeunons cette fois avec de vrais croissants !

La solution que nous avons retenue est d'acheter un ticket de transport en commun à la journée, qui nous permet à la fois de prendre le bus mais aussi les vaporettos sans limitation pour 24 heures. Nous avions expérimenté cette solution l'année dernière et c'est la plus avantageuse, d'autant qu'il y a un arrêt de bus juste à la sortie du camping. Pas de soucis en perspective pour garer et attacher les motos, de plus nous pouvons nous déguiser en parfait touristes : short, t-shirt, sac à dos et bien sûr sac plastique pour Philippe !

Nous voilà donc sur la grande place terminus du car, nous nous dirigeons vers l'embarcadère de vaporettos. Après un cafouillage mémorable, nous finissons par trouver le vaporetto qui nous mènera à la place Saint-Marc par le Grande Canale. Il faut dire que leurs plans de circulation sont particulièrement incompréhensibles !

Nous sommes donc installés à l'avant d'un de leurs bateaux de circulation, pour admirer ce qui est sans doute une des plus belles ville du monde. On peut dire ce que l'on veut, parler de Venise du Nord pour Amsterdam, de la Venise de la Provence pour Pernes-les-Fontaines, rien ne ressemble à cette lagune habitée. Couverte de palais construits sur des millions de troncs plantés dans la vase, cette ville est une splendeur. De plus, non contente d'être un musée à ciel ouvert, c'est une ville vivante qui fourmille d'activités. Partout des bateaux chargés de marchandises, des barges qui portent des grues, mille embarcations sillonnent les canaux. Taxis, gondoles, somptueux canots en bois vernis : le spectacle est partout. Et lorsque les yeux quittent l'eau, ils ne rencontrent que palais, églises, maisons bourgeoises rivalisant de beauté et d'originalité. Vraiment cette ville n'a pas d'égale !

La traversée jusqu'à la place Saint-Marc dure une demi-heure mais elle nous a semblé trop courte et les appareils photo ont été chauffés à blanc !

La fameuse place est noyée de monde, pas question d'être agoraphobe ici ! Nous savons par l'expérience de l'année dernière que, si nous quittons les artères les plus connues qui mènent au pont des Soupirs ou au Rialto, nous trouverons des rues plus tranquilles arpentées par les seuls habitants de la ville. Nous nous éloignons donc dans le dédale des ruelles coupées par de minuscules canaux afin de trouver un endroit pour nous restaurer. Nous atterrissons dans un minuscule snack où notre groupe a presque du mal à trouver de la place pour tout le monde. Le décor est très réussi, mariant bois vernis et cuivre, il dégage une ambiance chaleureuse. Nous déjeunons de sandwichs italiens pas mauvais du tout.

Nous avons décidé de nous séparer pour l'après-midi, afin que chacun puisse faire le choix de son activité dans la ville. Personnellement, j'avais été très frustré l'année dernière de ne pouvoir visiter le Guggenheim muséum. J'avais été si impressionné par mes visites de New York et de Bilbao que je m'étais juré de visiter tous les Guggenheim. Si celui de Venise est ouvert cette année, il me manquera celui de Berlin et de Las Vegas (enfin il y a bien peu de chances que je décide d'aller à Las Vegas : cette ville me répugne).

 

Heureusement, la Peggy Guggenheim collection est ouverte.

Cette collection d'art contemporain a été rassemblée par la nièce de Salomon Guggenheim ; elle a été conseillée par Marcel Duchamp et Max Ernst qui a été son mari. A sa mort, en 1980, elle a tout légué (bâtiment et collection) à la fameuse fondation. Le musée est installé dans un ancien palais vénitien du XVIIIe siècle qui en fait n'a jamais été terminé, ce qui explique son architecture si particulière (c'est un grand parallélépipède intégralement construit de plain-pied). D'ailleurs, sa propriétaire y a vécu presque toute sa vie. Nous commençons donc la visite. Dès la première salle, c'est un choc : elle présente deux œuvres de Picasso datant de l'époque de ses recherches sur la déformation des corps et dont l'aboutissement à mon avis est le tableau intitulé Le Baiser. L’une d'elles est d'ailleurs très proche de ce dernier mais traité en bichromie blanche et bleue. Le reste de la visite est à l'avenant : Kandinsky, Max Ernst, Braque, César, Duchamp, Klee, Léger, Dali... Tous sont présents, la collection est exceptionnelle ! Parfois, elle rassemble les tableaux par école, comme la salle cubiste qui permet de noter les subtiles différences entre Picasso et ses contemporains. Parfois, elle rassemble les œuvres d'un seul artiste : Max Ernst est bien sûr très présent, et l'inspiration de certains de ses tableaux est vénitienne de toute évidence ! Nous serons également très impressionnés par une sculpture de Calder. Vraiment, il va falloir aller à Berlin !

Nous quittons le musée vraiment impressionnés... Nous avons décidé de visiter l'île de Murano et ses fameuses manufactures de verre. Il nous est bien difficile de trouver un bateau qui s'y rend, nous avons toujours autant de mal à déterminer si le bateau dessert notre destination. Après un changement sur l'île du Lido, nous nous dirigeons bien vers Murano. Le bateau passe devant le cimetière de Venise, un bien étrange cimetière : entouré de hauts murs, il est planté seul au milieu de la lagune.

Nous abordons Murano et partons à sa découverte. C'est une Venise miniature, bien plus calme : elle en a presque plus de charme. Ici c'est un véritable plaisir que de déambuler lentement en découvrant dans les vitrines l'artisanat des verriers. Nous parvenons à l'extrémité de l'île : c'est un quartier résidentiel où, luxe inouï, nous découvrons des jardins !

Mais il est temps de rentrer non sans que Francine ait fait quelques emplettes chez un verrier.

Nous nous retrouvons, à l'heure, au lieu de rendez-vous après une nouvelle traversée de Venise mais cette fois par l'extérieur et prenons le bus vers notre camping. Ce soir c'est notre dernier repas ensemble puisque Joachim doit rejoindre la Suisse demain...

L'ambiance n'est pas très joyeuse, difficile de se dire que la fin du voyage est là et que demain chacun reprendra sa route... Il nous faut pourtant nous coucher tôt car demain une grosse étape nous attend et pour certains elle sera même très longue.

 

 

 

Samedi – Une longue, très longue étape

 

Nous avons planifié de rentrer sur deux jours, Joachim rentre à Zug dans la journée. Nos chemins doivent se séparer à quelques kilomètres de Venise. Nous partageons donc notre dernier petit déjeuner ensemble et prenons la route. Les pleins faits dans une station-service toute proche sont le prétexte à une dernière séance photos et à nos adieux à Joachim. Direction l'autoroute pour une nouvelle traversée de l'Italie.

La monotonie de notre parcours ne sera brisée que par une petite séance de recherche de direction dans l'enchevêtrement des périphériques de Turin ! Enfin, nous avons décidé de rejoindre Briançon par le col de Sestrière. Et comme cette direction n'est rappelée qu'une fois sur deux dans le meilleur des cas, il faut être particulièrement vigilant pour ne pas prendre une mauvaise direction !

Heureusement, aucune erreur n'est commise et nous voici sur la bonne route. Arrêt repas avant d'attaquer les routes du col. Nous avons cette fois traversé l'Italie en un temps record ! Et il nous reste beaucoup de temps pour rejoindre Briançon, but de notre étape. La montée au col va être un défouloir pour Philippe et moi. Il a pris la Ducati et est rapidement passé devant, je tente de le suivre difficilement : la BMW louvoie parfois de manière inquiétante du fait de son chargement mais aussi de l'état de la route qui semble s'être littéralement affaissée à certains endroits. Mais quel plaisir que ces virages après les longues lignes droites de l'autoroute ! Ils ne sont gâchés que par quelques inconscients en super-sportive qui nous passent dans les courbes genou à terre au mépris de toutes les règles de sécurité. Et à la descente sur Briançon, un de ces imbéciles qui a exagérément élargi son virage, sans doute à cause de sa vitesse excessive, manque de percuter Phillipe qui ne doit son salut qu'à une manœuvre de dernière minute.

A ce rythme, Briançon est vite atteinte, et cela va nous permettre de passer chez le concessionnaire moto à qui Francine a confié son casque en dépôt-vente. Hélas, il n'a pas été vendu et nous le récupérons pour le descendre à Montpellier. Montpellier justement, c'est à ça que je pense : étant donné l'heure, je pense qu'il nous serait facile de rejoindre la ville aujourd'hui même. Cela présente plusieurs avantages : nous aurons tout dimanche pour récupérer avant de reprendre le travail, et nous ferons des économies de camping et de restaurant. J'en parle à mes camarades : Philippe et Annie sont trop fatigués et préfèrent s'arrêter ici pour reprendre demain, Francine elle est prête à essayer à la condition que, si la fatigue la gagne, nous ne nous acharnions pas à atteindre l'objectif. C'est d'accord !

 

Nous quittons donc Annie et Philippe qui se dirigent vers le camping et prenons la route. Je laisse Francine devant afin qu'elle imprime le rythme. Il n'est pas mauvais et ne ralentira qu'à la nuit tombée. A 10 h, nous sommes à Orange et hélas je décide, alors que j'ai repris la tête de la progression, de suivre les panneaux qui nous indiquent l'autoroute. Mal m'en prend ! En fait nous allons remonter au nord sur au moins 20 km et Dieu sait que nous n'avons pas besoin de cela pour le moment. La fatigue commence à nous faire durement souffrir et les derniers kilomètres sur l'autoroute sont un martyre... Minuit, nous voilà arrivés morts de fatigue mais fiers d'avoir vaincu une étape de 900 km. Mais quel choc de partir de Venise le matin pour se trouver à Montpellier le soir !

Voilà le voyage est fini. L'heure du bilan est arrivée. Et il est quant à moi 150 % positif. Nous avons passé 15 jours extraordinaires au sens étymologique du terme. Les pays que nous avons traversés étaient magnifiques, nous avons fait des expériences que nous n'oublierons jamais en découvrant les traces persistantes d'une guerre civile. Notre groupe s'est très bien entendu et les moments de friction ont été très rares et ont toujours été parfaitement gérés !

 

Bref, moi je repars où vous voulez avec vous ! Donc à bientôt pour de nouvelles aventures !