Vendredi

 

17 h, il est temps de partirpour le badminton : j'ai l'intention de faire la révision de la moto après maséance de badminton. Ce n'est pas raisonnable mais pas moyen de meraisonner ! Hélas, la XS 650 en décide autrement : j'ai beau kicker commeun forcené, impossible de la démarrer ! Je sais ce que c'est : la batterie déjàfaiblarde a définitivement décidé de me lâcher... Je cours dans le bureau deFrançoise afin qu'elle me prête ses câbles de démarrage et la batterie de sa 2 CV.Avec l'aide de la brave voiture, la moto démarre au quart de tour mais plusquestion de badminton, c'est le retour direct à Gignac et pas question de calersur le chemin...

 

La révision de la moto commence :nettoyage des bougies, vérification du niveau d'huile, changement desplaquettes de freins arrière (la limite d'usure est largement atteinte,heureusement que j'ai toujours des pièces de rechange d'avance...) et enfinpurge du liquide de freins et réglage de la garde des leviers… Quelques coupsde chiffon afin que je sois fier de la Guzzi et la voilà prête pour un longvoyage. Les bagages sont chargés dans les sacoches, en particulier ce sera lapremière sortie de la sacoche de réservoir que JMC m’a filée et dont j’ai puadapter les fixations à coup de fil et d’aiguille ! Difficile de s’endormircette nuit, outre que je dors mal depuis quelque temps, l’excitation du départm’oblige à prendre un somnifère qui finit par avoir raison de ma résistance…

 

Samedi

 

Difficile réveil, un cachetentier c’était peut-être un peu trop ! L’appel de la route est suffisammentfort pour me permettre de percer les brouillards du réveil… Il est temps depréparer la maison afin qu’elle résiste aux assauts du chat pendant ces quatrejours de solitude : fauteuil renversé, nourriture aux endroitsstratégiques et c’est le départ…

 

La moto lourdement harnachée afière allure, elle tourne comme une horloge : je ne m’inquiète pas pour monpériple

 

Premier tour de roue etdirection Pézenas puis Béziers. Une quinzaine de kilomètres plus loin, lemoteur semble forcer, la vitesse diminue, il y a un problème, c’est sûr… Jestoppe immédiatement et, stupéfaction, le frein arrière émet une épaisse fumée…Voilà, fin du voyage après 15 km. Je réfléchis et comprends soudain que monréglage de garde était sûrement trop optimiste et en fait je freine depuis 15km !

 

Je laisse refroidir et détendsla garde, nouvelle tentative de départ… Pézenas, Béziers, direction Limoux toutce passe bien, les départementales sont monotones et pas très jolies, mais lamoto ronronne : ça me console de tout… J’ai toutefois un peu de mal àconcentrer mon attention très longtemps : sans doute un effet secondaire dusomnifère, ça devrait passer.

 

Les kilomètres s’enchaînent sansproblème à un rythme lent mais régulier, c’est ce que j’affectionne le plus.

 

Toutefois, plus je progresse etplus le temps se fait incertain. Premier arrêt essence et achat deravitaillement dans un centre Leclerc qui ne propose que du sans plomb 98 : pasle choix mais je n’aime pas l’idée de changer les habitudes d’essence de lamoto.  Quelques kilomètres plusloin, c’est la première pause-repas, je mange attablé sur une aire de reposfaisant face à une jolie vallée des Corbières. Je repars rapidement, directionFoix.

 

La météo est de plus en plusincertaine. Arrivé en vue du château de Foix, les éclairs entourent la ville :je décide de m’arrêter dans la ville afin de laisser passer l’orage. Arrivé aucentre-ville, je découvre une 1340 Harley allemande chargée comme un semi-remorque : c’est un modèle custom style lowrider (longue fourche, selle épaissecomme du papier à cigarette : dire qu’ils ont traversé la France là-dessus). Lecouple de propriétaires, genre tatoués pur style rebelle allemand (donc propressur eux quand même) est attablé à la terrasse d’un café. Je décide de m’arrêterici ; il faut dire que depuis mon départ un phénomène étrange s’estproduit : malgré mon insistance à saluer les motards que je croise, j’ai trèspeu de réponses, à part bizarrement de la part des harleyistes ! J’ai comprispourquoi : de face, la Guzzi avec son carénage nez de cochon ressemble à une HDgenre Electra Glide ! 

 

Après un salut poli, jem’attable moi aussi à la terrasse et là, à peine mon demi servi, le déluge sedéchaîne ! Outre l’eau, une violente rafale de vent arrache les parasols etrenverse les tables… mon verre passe à pertes et profits. Il ne reste plus qu’àattendre la fin de l’orage à l’abri dans le bar. Lorsque la tornade se calme, unepluie fine mais régulière s’installe : inutile d’attendre plus longtemps, ça nes’arrangera pas… Les Allemands et moi décidons de partir en même temps aprèsquelques mots en anglais sur les caprices de la météo. Nous nous équipons denos tenues de pluie (il font moins méchants comme ça, et moi je suis carrémentridicule) Nos routes se séparent au premier rond-point. Heureusement, car leuréchappement libre (style drag pipe) m’aurait rendu sourd en quelqueskilomètres… et me voilà parti pour 250 km sous une pluie battante. J’ai prévusur mon roadbook de passer un col pyrénéen afin de descendre sur Pau :impossible sous cette pluie. J’enchaîne donc les nationales qui ont d’autantmoins de charme que tout est gris sous la pluie. Arrivé à Pau je suis épuisé parl’attention que demande la conduite sur route mouillée et renonce à rejoindreBiarritz comme initialement prévu. Je m’arrête à manger un morceau dans unfast-food : la salle est presque vide et tout le monde me regarde comme unMartien débarquant de sa soucoupe, surtout lorsqu’il a fallu que j’ouvre monpantalon de pluie au niveau de la braguette afin de chercher ma monnaie ! C’estdécidé, je cherche un hôtel ici pour la nuit, c’est chose vite faite, dans lazone commerciale que je traverse se trouve une espèce d’hôtel F1 en plusconfortable. Le gérant me propose une chambre en compatissant à mon calvairehumide… Il est temps de vider les sacoches de la moto et j’ai fière allure endéambulant dans les couloirs avec les sacs poubelle qui assurent l’étanchéitéde mes affaires.

 

Arrivé à ma chambre, jem’aperçois que le couloir accueille la moitié des habitants d’une tour dudépartement « 9-3 » (vérifié à l’immatriculation de leurs voitures)descendus sans doute eux aussi vers le soleil ! L’ambiance est disons animée etje crains le pire pour la tranquillité de la nuit à venir, surtout lorsque jevois un de ces personnages fumer tranquillement son joint dans l’escalier !Après une douche, j’avale rapidement mon repas du soir : il est déjà 21 h, jem’écroule sur le lit épuisé. Et ne rouvrirai les yeux que le lendemain matinaprès une nuit tranquille et reposante : comme quoi…

 

Dimanche

 

8 h, il est temps de se leverétonné par le calme de la nuit passée, comme quoi il ne faut pas juger les gensà ce qu’ils fument ! J’ai bien récupéré et c’est avec une légère inquiétude queje lève le store pour constater l’état de la météo : le ciel est très chargé…Cela n’augure rien de bon. Je constate que presque toutes les affaires sontsèches à l’exception de mes gants en cuir. Ils m’ont fait souffrir le martyrehier, au point qu’en arrivant à Pau j’avais les doigts tétanisés par le froid.Et me revoilà arpentant les couloirs avec mes sacs poubelle à bout de bras :gros succès lorsque j’arrive à la hauteur du restaurant où les petits déjeunerssont servis ! Je me suis contenté d’une barre de céréales et d’un peu d’eau.j’ai plus de 300 km à faire avant Bilbao : je voudrais arriver tôt pour avoirle temps de trouver soit un camping, soit un hôtel à proximité de la ville.

 

A peine ai-je quitté Pau que lapluie se remet à tomber, m’obligeant de nouveau à me déguiser en sac de pommesde terre : où est la prestance du motard de cuir vêtu chevauchant son engind’acier rutilant ?

 

Mais la météo peu clémentem’obligeant à la prudence, je m’intéresse au paysage : le pays basque françaisest beau. La nature y est verdoyante (je sais maintenant pourquoi), je croisemême des bananiers de taille respectable dans certains jardins ! L’architecturedes fermes y est bien particulière, elles sont constituées d’une maisond’habitation et de ses corps de bâtiment formant un L ou un U. Le toit desmaisons est à forte pente et couvert d’ardoises ou de tuiles, ce qui présageque la pluviométrie de ce jour n’est pas exceptionnelle. Les vallées, véritablegrenier à blé, sont surmontées par les contreforts des Pyrénées à l’heureactuelle noyées dans les nuages. Bayonne est en vue et je décide de m’y offrirune pause méritée, la météo étant plus clémente : je me débarrasse donc de matenue une fois de plus pour effectuer une visite de la vieille ville. Elle estséparée en deux parties distinctes par une rivière dont je ne me rappelle plusle nom. L’architecture est de type médiéval : petites rues étroites, parfoisavec leurs pavés d’origine. L’office se déroulant dans la cathédrale ne mepermettra pas d’en faire la visite : dommage…

 

Maintenant direction Biarritzqui en fait touche Bayonne. Là je me crois revenu dans les pires cauchemars demon voyage sur la côte méditerranéenne : circulation intense, touristes par milliers,embouteillages… Je décide de rejoindre au plus vite Saint-Jean-de-Luz, espéranty trouver un lieu plus calme. Sur la nationale très encombrée, un Belge tenteun paysage en force à un stop mais voyant que je ne suis pas décidé à lelaisser passer il se résigne pour s’arrêter au milieu de la chaussée. Hélas, lajeune fille en scooter n’a pas prévu la manœuvre et vient percuter violemmentl’arrière de la voiture. Je stoppe, elle n’a presque rien, par contre l’avantde son scooter a souffert… Les occupants des voitures alentour stoppent ets’occupent de la jeune fille. Je continue mon chemin non sans être pris d’unsentiment de culpabilité : n’ai-je pas une part de responsabilité dans cetaccident ? Un freinage d’urgence sous cette pluie afin de permettre à lavoiture de griller le stop aurait été dangereux.

 

Saint-Jean-de-Luz apparaît etj’oublie l’incident. Je décide m’offrir quelque chose à boire sur la promenadedevant la plage. Beaucoup de monde, je m’attable à un café, commande une bière: je comprends vite que le serveur en plein boom de midi et va m’accorder peud’attention, je ne parviendrais même pas à savoir où se trouvent les toilettes…Je décide de lever le camp en espérant que les Espagnols seront plussympathiques.

 

La frontière ne pose aucunproblème, c’est d’ailleurs à peine si on la remarque !

 

Dès que je suis en Espagne, letemps change, le soleil apparaît et la route plate jusqu'à maintenant faitplace à une côte plus découpée : les Pyrénées se jettent dans la mer et c’estmagnifique ! Après une vingtaine de kilomètres, je décide de m’arrêter dans unecrique afin de manger et d’admirer la côte de plus en plus belle. J’avale masalade en boîte et mon riz au lait puis je pars faire une promenade sur laplage… A mon retour à la moto, je me dis qu’il est dommage de ne pas pouvoirpartager cette vue qui ressemble à un mélange de Corse et de Bretagne.

 

Ceci fait, je vérifie l’étatmécanique de la moto, le niveau d’huile n’a pas baissé de façon notable et ceaprès 600 km. Cette Guzzi est vraiment une bonne moto. Les câbles ont l’air detenir, c’est le point faible de cette machine et je me suis aperçu après unecentaine de kilomètres que j’ai oublié ceux que je garde en réserve, trop tardhélas

 

Je reprends donc la route et n’ytenant pas je stoppe à nouveau après quelques kilomètres pour admirer cettecôte si particulière. Après quelques minutes d’arrêt, j’entends derrière moi lebruit particulier d’un bicylindre culbuté et quelle surprise lorsque je meretourne et vois une jolie Guzzi V50 entièrement peinte en kaki… Ça n’est pasfréquent de rencontrer ce genre de machine sur la route. Je descends de le motopour aller saluer ce valeureux chevalier de la route. Il s’agit d’unHollandais, nous commençons à engager la conversation en anglais. Il est partivendredi de Hollande et a déjà traversé toute la France. C’est un grandgaillard de 1,90 m, je découvre son visage après qu’il a enlevé son casque, ila la boule à zéro et il est tout de cuir vêtu : il a le look agressif du motardharleyiste mais son visage et son sourire démentent l’agressivité de sonapparence. Le début de la conversation est difficile, je comprends rapidementpourquoi lorsque je le vois enlever les boules Quiès avec lesquelles il roule !

 

Sa moto est entièrement équipeavec du matériel militaire, elle est lourdement chargée, l’équipage qu’il formeavec sa moto est incongru car le V50 est une moto de petit gabarit, c’est toutjuste si on la voit sous son harnachement ! La conversation est naturelle.j’apprends que sa moto est une moto achetée aux surplus de l’armée hollandaise,qu’elle est un peu juste en puissance sur l’autoroute, que contrairement à saréputation le faisceau électrique ne lui a pas posé de problèmes mais qu’il acassé ses câbles d’accélérateur à Rouen et que par miracle un motociste a pules lui changer. Nous comparons nos roadbooks : il descend plus au sud où il aréservé un hôtel mais il emprunte jusqu'à la hauteur de Bilbao le mêmeitinéraire que moi. Nous décidons de faire un bout de route ensemble et je luipropose de lui offrir à boire lorsqu’il faudra nous séparer. Je lui propose depasser devant.

 

Nous comprenons immédiatementpourquoi nos itinéraires sont identiques : cette route à flanc de montagne estmagnifique, elle serpente à travers de très belles criques. La luxuriance de lavégétation et le contraste entre la mer et la montagne en font le plus beauparcours de mon voyage ! Mon gaillard hollandais a adopté un rythme très calme,je n’ai pas de mal à le suivre, il faut dire que le petit bicylindre doit avoirbien du mal à emmener tout cet équipage ! La route défile sous nos roues, maisrapidement l’itinéraire deviens plus tortueux et mon prédécesseur se trompedeux fois de chemin. Je décide de passer devant et d’ouvrir la route…J’accélère le rythme car je suis un peu en retard sur mon programme… La V50 aun peu de mal à me suivre comme il me l’avouera plus tard… Nous avons décidé denous arrêter à Guernica car nos itinéraires se séparent peu après. Je medemande s’il s’agit de la fameuse Guernica bombardée par la légion allemandeCondor envoyée par Hitler pour aider son ami Franco et que Picasso aimmortalisée. Nous arrivons en ville et nous mettons à la recherche d’un bar.C’est chose vite faite, notre entrée dans ce petit bar tranquille fait sensation,je commande tant bien que mal une bière et deux cafés. Le tenancier fait delouables efforts pour essayer de me comprendre !

 

Au cours de cet arrêt, j’enapprendrai plus sur mon coéquipier d’un jour : il projette après son séjour àl’hôtel de remonter sur Bordeaux puis de descendre à Barcelone en passant parToulouse puis de remonter en Hollande ! Il travaille dans la métallurgie etdéclare que je suis le seul Français qu’il a rencontré capable de tenir uneconversation en anglais, ce qui me fait bien rire ! Et inévitablement nousparlons moto : ce n’est pas sa première monture et sa précédente acquisitionétait un Sporster 1200 : le récit des problèmes qu’il a eus avec cettemachine va nous occupez un bon quart heure ! Et dire que c’est la moto que jerêve d’acquérir prochainement…

 

L’heure tournant, il nous fautbientôt reprendre la route. Il veut arriver à son hôtel avant demain, quant àmoi le retard accumulé commence à m’inquiéter (la suite me donnera raison !).Nous voilà à nouveau sur nos machines et à la faveur d’un ravitaillement enessence nous nous faisons de chaleureux adieux, ces quelques kilomètrespartagés auront été un rayon de soleil dans le voyage. Je ne connais même passon nom et je regretterai longtemps après notre séparation de ne pas lui avoirproposé de passer à Montpellier : il n’est pas à quelques centaines dekilomètres près !

 

Mais passons au but de notrevoyage : après 900 km voici Bilbao. La première approche est peuengageante, en fait la ville s’étend le long d’une vallée qui se révélera êtrel’embouchure d’un fleuve. Toute la partie nord de la ville est une immense zoneindustrielle où se mêlent industrie et architecture espagnole typique desannées 1970, c’est-à-dire des constructions d’habitat collectif en brique, dontle moins que l’on puisse dire est qu’elles sont laides !

 

Je suis une autoroute qui mènevers le centre et là, à la sortie d’un virage, apparaît le centre historiqueet, trônant au milieu de la ville, le musée Guggenheim. Le moins que l’onpuisse dire est que voir pour la première fois ce bâtiment est un choc. Ils’impose comme le cœur de la ville et on comprend mieux le rôle principal qu’ily joue, tentant de limiter l’inévitable naufrage d’une ville industrielle auXXIe siècle en Europe. Je me suis promis de lui consacrer au moinsune matinée, mais pour l’instant il est 19 h et il faut que je trouve d’urgenceun hôtel. Je commence à sillonner les rues comptant sur ma bonne étoile pourtrouver un petit hôtel bon marché et typique. Hélas, je me rends vite compte qu’ils’agit d’une denrée rare ici. Les seuls hôtels que j’ai croisés sont un 3 et un4 étoiles, outre le fait que je ne compte pas me ruiner pour loger. Ici jedoute que ma tenue qui commence à se défraîchir sérieusement me permetted’entrer dans ce genre d’établissement. Le temps presse, je décide de garer lamoto et d'explorer à pied le quartier dans lequel je me trouve : en vain, pasle moindre hôtel même de dernière catégorie ! Je retourne à la moto, avalerapidement mon repas du soir en réfléchissant. Il ne me reste plus qu'unesolution, m'éloigner de la zone urbaine afin de trouver soit un camping, soitun lieu de bivouac. J'enfourche donc à nouveau la moto et décide de me dirigervers la côte en suivant l'estuaire. Je traverse le port industriel : la visionest dantesque, sur 10 km se succèdent entrepôts désaffectés, grues rouillantsur pied et carcasses de cargos échouées sur le sable. Ce paysagepost-industriel est incroyable et il possède une esthétique que je ne détestepas, le gigantisme et la décrépitude aboutissant à une atmosphère bienparticulière. Je poursuis ma route et arrive à l'embouche de l'estuaire et làsurprise le paysage change complètement et je me trouve dans une villebalnéaire ressemblant beaucoup à Deauville. J'imagine qu'il s'agit du lieu devillégiature de la bourgeoisie de Bilbao. Les rues sont très encombrées devacanciers, ce qui provoque de véritables embouteillages, je me perd dans celabyrinthe de petites rues, je tourne, la moto chauffe, elle n'aime pas cerégime. Il me faut rapidement trouver la sortie afin de rejoindre les collinesverdoyantes, je j'aperçois au loin... mais le calvaire continue, pas le moyend'avancer, la Guzzi proteste, les reprises sont moins franches, elle pétarade àla décélération. C'est la panne mécanique, je parviens tant bien que mal àfaire une dizaine de kilomètres. Je suis sorti de la ville, le moteur est àl'agonie, il me faut au plus vite m'arrêter. Je repère un petit chemin quis'enfonce dans la campagne. Je le prends et m'arrête au bout d'une centaine demètres, le sol est très humide, j'ai peur de m'enliser. Je décide de faire unereconnaissance à pied. Quelques dizaines de mètres plus loin, un petit champs'offre à ma tente. J'y introduis tant bien que mal la moto en marche arrière.l'endroit n'est pas des plus accueillants mais je dois pouvoir bivouaquer ici.Je monte la tente, laissant le temps au moteur de refroidir : une séance demécanique m'attend avant la tombée du jour qui ne saurait attendre. Je supputeune bougie claquée, heureusement que j'ai toujours des bougies de rechange queje monte immédiatement ; par acquis de conscience, je nettoie aussi lescarburateurs. Je n'ose pas redémarrer la moto de peur d'une déception. Je meglisse dans mon sac de couchage et ne tarde pas à m'endormir.

 

Lundi

 

Je sais par expérience que lebivouac près des zones urbaines peut amener de mauvaises surprises. Il n'ensera rien cette fois. Je me réveille à huit heures après une excellente nuit.Je me donne jusqu'à 10 h pour arriver au Guggenheim Museum, le temps de plierla tente et de me trouver un petit déjeuner et puis je veux retraverser ce portqui m'a tant impressionné hier.

 

Le temps de charger la moto etvoila le moment de démarrer le moto : angoisse ! mais non elle démarre au quartde tour et tourne très rond ! Le diagnostic mécanique était bon : je remerciemes bougies de rechange...

 

Nous voilà donc repartis vers laville. Je stoppe dans un quartier un peu populaire à proximité du musée. Jetrouve un café et des Donuts : une ville où l'on trouve des Donuts ne peut pasêtre mauvaise !

 

Avant de me rendre au musée, jedécide de déambuler à pied dans le quartier : c'est le moyen que j'affectionnele plus afin de découvrir une ville. On se trouve à hauteur d'homme, j'essaiede me fondre dans la vie de la ville, de passer pour un habitant, de découvrirla vraie vie des gens... Pour moi rien de plus déprimant que ces hordes detouristes appareil photo sur le ventre, dégorgeant de leur car pour passer 10minutes devant un monument historique. Je n'ai hélas que peu de temps àconsacrer à cette découverte car je veux consacrer le plus de temps possible aumusée. Je crois que j'aime l'atmosphère de cette ville ou naufrage industriel,histoire et modernité se côtoient : j'aime les villes protéiformes !

 

Je me dirige donc vers le musée,je gare la moto à côté de quelques-unes de ses consœurs en majorité venantd'Angleterre dont une magnifique Ducati 750 SS dont je me demande comment lepilote a pu supporter un voyage sur un engin aussi peu confortable ! La motoest équipée pour porter des valises, il ne s'agit donc pas de pseudo-motardsqui tractent leur moto derrière leur voiture pour mieux frimer sur lesplages...

 

L'architecture extérieure dumusée sort vraiment de l'ordinaire, ces volumes très différents imbriqués lesuns dans les autres en font un bâtiment unique spectaculaire bien que j'ai dumal à le qualifier de beau. Je me dirige vers le guichet du musée et constateavec plaisir que le musée propose des audioguides. J'en commande un en français,m'adressant en anglais à l'hôtesse, celle-ci me répond gentiment et m'expliquele fonctionnement de l'appareil dans un français parfait sans accent, ce dontje la félicite, ce qui la fait rougir de plaisir et elle m'apprend qu'elle avécu en France.

 

La visite commence : je découvretout d'abord l'architecture intérieure du bâtiment grâce à l'audioguide.Etrange comme après plusieurs jours sans m'être beaucoup adressé à des êtreshumains cet appareil va me devenir familier et même attachant ! L'architecturemêlant titane (je préfère ne pas imaginer le coût !), verre et béton est loinde l'architecture duGuggenheim de New York, beaucoup plus grand et moins orienté vers le biodesign avec sa a spirale centrale qui évoque l'intérieur de la coquilled'un gastéropode. Pourtant, la salle principale de 130 m de long a étéconstruite selon la forme d'un corps de poisson, comme me l'apprend Gerritlui-même à travers l'audioguide !

 

En fait, les différents volumesdélimitent les espaces d'exposition distribués autour d'un hall central.

 

Il est temps de passer àl'exposition permanente située au rez-de-chaussée, je ferai la visite commentéede l'extérieur du musée plus tard.

 

Il s'agit d’œuvres monumentales,deux artistes se partagent l'espace, l'un deux travaille sur des structures enacier de grande dimension, l'autre sur des formes labyrinthiques. La taille desœuvres fait qu'on les visite littéralement, particulièrement un labyrinthe quisur quelques dizaines de mètres carrés fait pénétrer dans un universclaustrophobique (non sans qu'une hôtesse nous ait mis en garde sur cet aspectde l'œuvre !).

 

Les deuxième et troisième sallesprésentent elles des œuvres qui jouent sur la perception de l'environnement.L'œuvre la plus spectaculaire est sans conteste une salle peinte en blanc,éclairée par des lampes à ultraviolet et néon, dont les murs ne sont pas droitsmais incurvés. Après avoir chaussé des protections aux pieds, on pénètre dansla salle : on perd alors complètement la perception des limites de la pièce etl'on se prend à avancer les mains en avant de peur de se retrouver face à unmur sans s'en être aperçu ! les éclairages changent, rendant la perception duvolume de la pièce différente : vraiment spectaculaire ! Toutefois, après quelquesminutes, de minuscules taches sur les murs permettent de reprendre pied avec laréalité...

 

Il est temps maintenant depasser à la première exposition temporaire : il s'agit d'un artiste new-yorkaisd'origine coréenne : Paik. Il s'est surtout intéressé au rapport entre l'imagevidéo et le spectateur. Il a produit aussi bien des œuvres d'art que des bandesvidéo depuis les années 1960 jusqu'à nos jours. Son travail est intéressantdans le sens où il essaie introduire une certaine interactivité dans ses vidéos.Puis sur la fin de sa carrière (il est toujours vivant) Paik a travaillé avecdes lasers en créant des formes complexes un peu à la manière des sinusoïdalesqu'il créait à ses débuts avec des oscilloscopes.

 

Les deux œuvres qui resterontdans ma mémoire sont indiscutablement la vidéo faisant un résumé de ses travauxdes vingt dernières années et un cône sous lequel le visiteur se couche et surla surface intérieure duquel plusieurs lasers dessinent des formesgéométriques.

 

La seconde exposition temporaireest consacrée à Giorgio Armani ! Inutile de dire que je ne vais pas m'attarderà celle-la, d'autant plus que lorsque je branche l'audioguide c'est la voixsuffisante et insupportable de Claudia Cardinale qui commente l'exposition ! Jepasse rapidement à travers les différentes salles, mais l'étalage de tout celuxe m'écœure.

 

Heureusement, la visite del'architecture extérieure du bâtiment m'attend. Je me dirige donc vers lasortie avec mon audioguide, pas de problème c'est prévu par la visite et j'ai laisséà cet usage ma carte d'identité au guichet !

 

La visite de l'extérieur estsans doute la meilleure partie de la visite. Forme architecturale, intégrationdans la ville, similitude de la surface du bâtiment avec les écailles d'unpoisson, tout est passé en revue avec beaucoup de talent.

 

Mais l'heure passe et une longueroute m'attend pour le retour. Toutefois, j'ai du mal à me résoudre à quittercette ville dans laquelle je serai resté si peu de temps et pour laquelle j'ai développési rapidement de l'attachement.

 

Je retrouve ma – jusqu'àmaintenant – fidèle monture. Elle a souffert sous le soleil, et lesquelques bricoles que je me mets sous la dent avant de partir sont bouillantes,je les mange tout même avec plaisir car je n'ai rien avalé depuis ce matin ! Lamétéo étant plus que clémente, je décide de ne pas mettre mon blouson de cuiret de partir en tee-shirt, je réparerai cette imprudence rapidement car lescamions qui me croiseront sur l'autoroute me feront craindre le pire ! Jelaisse donc derrière moi la ville que je me promets de visiter à nouveau !

 

Mon itinéraire doit traverser lepays basque puis l'Aragon avant d'arriver à Andorre. Il est 16 h et j'espèrefaire le maximum de kilomètres avant 21 h afin d'alléger mon étape de demainqui promet d'être longue.

 

Dieu que l'architecture desvilles moyennes du pays basque massacre la beauté des vallées pyrénéennes quiles accueille. Ces villes construites de barres en brique tristes à mourir vontbaliser mon parcours pendant une bonne centaine de kilomètres ! Jusqu'à ce que,surprise, au milieu d'une vallée verdoyante, je tombe en arrêt devant uneincroyable vision. A l'entrée d'un petit village se dresse un immense bâtimentd'architecture XVIIe. Il est constitué d'une immense chapelle à toiten dôme avec de nombreuses dépendances toutes construites en pierre de taille.Ce bâtiment mérite un arrêt ! Au cours duquel j'apprendrai qu'il s'agit d'unechapelle et d'un monastère à la gloire de saint Ignace, visiblement né ici...Mais la route continue, et j'espère arriver à Pampelune avec le reste de monplein d'essence. Hélas, il en sera autrement et je dois me mettre à larecherche d'une station-service sur une partie quelque peu déserte de monparcours ! Heureusement, grâce à un policier basque qui m'indiquera un détourme permettant de trouver une station-service, je ne tomberai pas en pannesèche. Pampelune approche et j'ai décidé d'y faire une petite halte. La villese révèle être une espèce de ville nouvelle sans beaucoup de charme, il doitsûrement y avoir un centre historique mais la ville est tellement embouteilléeque je décide rapidement de trouver un bar et de repartir. Je refais le pleinde provisions, cette fois avec de la nourriture typiquement espagnole : charcuterie,tortilla... Je consulte ma carte, je suis entré dans la province d’Aragondepuis quelques kilomètres, ma route va la traverser entièrement et je ne vaispas le regretter : cette région est magnifique, très différente du pays basque,elle a un charme typiquement espagnol. Au gré de la route se succèdent valléegrenier à blé, colline, falaise déchiquetée par l'érosion...

 

Je me suis fixé comme objectifd'atteindre un lac dans quelques dizaines de kilomètres dans l'espoir d'ytrouver un camping : j'ai bien besoin d'une douche. Les kilomètres défilent etil s'avère que la région est réellement déserte ! Pas le moindre village, jecroise même des villages fantômes complètement à l'abandon... Trouver uncamping va être une gageure... mais j'arrive en vue de mon lac. Il est entouréd'une impressionnante ligne d'éoliennes et il s'étend sur plusieurs dizaines dekilomètres. Il est tard, bientôt 20 h 30, et il est temps de trouver un endroitpour dormir. Je ne me fais plus d'illusions sur le fait de trouver un camping,et m'engage dans le premier chemin de terre que je croise et qui se dirige versle bord de l'eau. Le chemin est étroit et laisse tout juste passer une moto, jem'inquiète pour un éventuel demi-tour. Après quelques centaines de mètres, jedébouche sur un véritable coin de paradis. L'endroit évoque les plus beauxpaysages d'Easy Rider, et si je n'étais seul je pourrais me prendre pour DenisHopper et Peter Fonda. Il y a là une petite fontaine, une plage de sable sousl'ombre d'arbres, le tout à quelques mètres du bord de l'eau ! Je jubile :jamais je n'aurais pensé tomber sur un endroit aussi beau et reposant. Premièrechose : une baignade dans le lac avant la tombée du jour... quel plaisir denager dans cette eau sans personne à des kilomètres !

 

Ensuite toilette dans lafontaine. Il est temps de préparer le bivouac. Je décide qu'il est dommage deplanter la tente dans un aussi beau décor, j'installe un vague auvent avec latoile de tente et me glisse dans mon sac de couchage ! Mal m'en a pris, je saispourtant par expérience que je supporte mal de dormir à la belle étoile : millebruits réels ou imaginaires troublent mon sommeil. Ce n'est donc que trèstardivement que je parviendrai à fermer l’œil. Non toutefois sans avoirlonguement profité de la nuit étoilée mais aussi du roman que j'ai emporté !

 

 

Mardi

 

Le matin arrive enfin. Le lieu de mon bivouacest toujours aussi idyllique mais j’ai hâte de reprendre la route après unenuit peu reposante. Le petit déjeuner est constitué d’un peu d’eau et du restedes Donuts achetés lors de mes emplettes de la veille.

 

Unefois le barda plié et chargé sur la moto, un coup de démarreur, la Guzzironronne immédiatement se balançant d’un cylindre à l’autre. Premier objectif,trouver un café ! Il va me falloir rouler une quarantaine de kilomètresavant d’atteindre une ville suffisamment importante pour accueillir ce typed’établissement ! Je ne dois pas être très loin de la Sierra de Guarra oùj’ai passé une semaine de canyoning intense l’année dernière car le nombre demagasins de sport de montagne et de tour-opérateurs proposant des canyons dansla région est impressionnant.

 

Maispas question de traîner excessivement car aujourd’hui m’attend la plus longueétape de mon périple, près de 800 km à avaler dans la journée. Je quitterapidement l’Aragon pour entrer dans la partie pyrénéenne de la Catalogne. Lesvirages de montagne se succèdent à bon rythme et j’essaie de me concentrer surune moyenne horaire élevée. Je vais être aidé en cela par un Espagnol qui dansun virage sans visibilité pousse les rapports de sa modeste Fiesta à fairehurler le moteur afin de me dépasser. Ce fou se permet de plus unequeue-de-poisson spectaculaire. Cette manœuvre pour le moins audacieuse me methors de moi, je descends un rapport et décide de montrer à cet imbécile cequ’est un pilote !

 

Jele rattrape facilement, le passe dans un virage et la s’ensuit une coursepoursuite saignante ! Mais comment une voiture pourrait-elle rivaliseravec la maniabilité et le couple moteur d’une Guzzi ! L’avance se creuserapidement… jusqu'à ce que je débouche enfin sur une route rectiligne. Je calela moto sur un régime de 4 500 tours, ce qui emmène notre équipage à 110-120km/h. Après à peu près 10 minutes à ce régime, qu’aperçois-je dans mon rétroviseur :mon pilote de rallye qui me suit à distance raisonnable ! Il estrapidement clair qu’il n’ose plus me dépasser et reste collé sagement à ma roueà distance raisonnable ! Après quelques kilomètres, cette situationm’horripile au plus haut point et je lui fais magnanimement signe de me passer.Après moult hésitations, il finit par doubler en fuyant le regard appuyé que jelui lance… La suite de la route défile maintenant avec plus de sérénité :Andorre approche, et je me réjouis de la traversée de cet Etat que je n’aijamais visité… Quelle déception, la partie espagnole de ce pays est digne despires cauchemars que peut engendrer la société de consommation ! La villen’est qu’immeubles de béton accueillant une multitude hétéroclite de commercesde toutes sortes : du sex-shop à la bijouterie de luxe ! Le tout estenvahi d’une foule grouillante avide de remplir le coffre de son break dedizaines de litres d’alcool divers : pure vision de l’enfer !

 

Toutefois,la route a été longue et peu rectiligne et il me faut m’arrêter pour merestaurer… Je trouve finalement un petit restaurant coincé entre unestation-service et l’entrée d’un parking souterrain. Je ne vais pasm’attarder !

 

J’avalerapidement mon repas servi par une très gentille serveuse qui semble compatir àmon effarement. Hélas, le calvaire ne fait que commencer. La traversée du paysme réserve deux mauvaises surprises :  la conduite apocalyptique desAndorrans surveillés de manière très laxiste (enfin en ce qui concerne lesautochtones) par une multitude de policiers en uniforme de carnaval ; le nombre de diesels asthmatiques chargésjusqu'à la gueule qui cherchent à avoir raison de nos bronches dans lesembouteillages et les nombreuses côtes du pays.

 

C’est décidé : autant que fairese peut, j’éviterai ce pays à l’avenir ! Je dois toutefois admettre que lecôté français de la contrée avec ses alpages et ses stations de ski a plus decharme.

 

Le passage de la frontière làencore ne pose aucun problème : il ne faudrait pas que ça ralentisse lecommerce tout de même ! Me voici donc à nouveau sur nos bellesdépartementales : il me faut rejoindre Carcassonne. L’itinéraire que j’aipréparé passe essentiellement par de petites routes violeuses… Je vais bientôtle regretter !

 

En effet, mon kilométrage pourcette dernière journée atteint 700 et j’ai plus de 150 km à faire pour terminerle voyage. La fatigue commence à sérieusement se faire sentir et, si la mototourne impeccablement, la virilité des commandes d’accélérateur et d’embrayagecommence à sérieusement fatiguer mes mains.

 

Les 100 km suivants je lesparcours dans un état second : ne rêvant qu’à une chose, enfin une lignedroite SVP ! Quel soulagement de trouver enfin l’autoroute : je parcours àun rythme soutenu kilomètres qui me séparent de Gignac… avec déjà des regretsmais aussi avec soulagement !

 

Je rêve déjà de mon prochainpériple : pourquoi pas la Slovénie, l’été prochain ?